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poèmes

Sautait dans la mêlée et mordait de courroux
Les nuages de poudre épars sur la bataille.
Tu passais, cavalier nerveux et halé d’or,
Aussi droit de fierté que superbe de taille,
L’audace t’emportait, au vent de son essor,
La peur ne mordait point tes moelles énergiques,
Tu portais ton orgueil ainsi qu’un gonfanon,
Et les soldats, épris de courages tragiques,
Savaient quel large éclair passait dans ton renom.

Tu traversas ainsi des guerres et des guerres
Et des assauts et des haines et des amours.

Maintenant les combats sont choses de naguères
Et ta vie a changé comme un fleuve de cours.

Et c’est toi que l’on voit là-bas, avec ta gaule,
Front nu, le corps étroit dans ton manteau ballant,
Arc-bouté de la main contre le tronc d’un saule,
Tenir sous garde et suivre au loin ton troupeau blanc
De vaches et de porcs baignés de brume rose,
Tes génisses paissant sur les terreaux déserts
Et tes grands bœufs, tassant leur croupe grandiose,
Dans la levée en fleur des longs herbages verts.