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le poteau

ma peur étant grande ; car c’était le poteau qui m’avait heurté si fort, — dernier avertissement. Nous courions en désespérés. La nuit continuait à être affreuse autour de nous. Nous nous enfonçâmes bientôt dans le bois et dans l’inconnu.

— Quelques semaines se passèrent au bout desquelles je devins le héros contumax d’un des plus épouvantables drames judiciaires qui aient jamais défrayé la curiosité parisienne. Le juge d’instruction et le procureur du Roi n’eurent point cette fois à « rechercher la femme ». La femme était là dans des bocaux avec diverses autres pièces à conviction.

Me ***, avocat d’office, y commença sa légitime réputation d’orateur ému. Moi, pendant ce temps, j’avais cinglé vers l’Amérique.

Là j’ai vécu plus de vingt ans, tour à tour banquier et garçon de café, journaliste et flibustier, j’ai connu toutes les jouissances et toutes les épreuves, commis tous les attentats, surmené toutes les passions, en un mot fait tout. À Charlestown où j’écrivaillai, je fus longtemps le compagnon d’opium d’Edgar Poe, et un peu son collaborateur. Plus tard j’entrai, en ma qualité de possesseur d’esclaves, dans l’armée confédérée où je devins colonel. Proscrit après la capture de Davis et quelque peu inculpé, dans l’affaire Booth-Lincoln, je passai au Mexique au plus fort de la seconde guerre de l’indépendance,