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le poteau

pendant laquelle, sans acception d’aucun parti, je me mis à la tête d’une bande dont les exploits font encore trembler, à l’heure qu’il est, Matamores, Oajaco et Queretaro. Redevenu riche et immensément riche après cette entreprise, je jugeai à propos de revenir aux États-Unis profiter des amnisties. Sur les bords de l’Hudson j’ai dressé un cottage entre les arbres. Là je vis très confortablement, je vous assure, mais s’il faut le dire, pas toujours en paix avec mes souvenirs. Pensez donc ! et réfléchissez que j’ai dû rêver guillotine et potence souvent, qu’on m’a fusillé quelque peu vers Guadalajara et que j’ai été des semaines prisonnier de sauvages !

Mais entre toutes ces choses terribles, il n’en est aucune, alors que la mémoire ou le sommeil me sont incléments, aucune qui me pénètre d’une terreur aussi intense, qui fige autant la moelle de mes os et le sang de mes veines que ce poteau peint en blanc, vu jadis près d’un bois, au rayonnement d’une lanterne sourde, une nuit que je gagnais le chemin de fer en compagnie d’une enfant aimable.