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confessions

que de manifestants encombre à moitié le passage et jusque sur la chaussée déborde en cohue plus facétieuse qu’autrement. Le grand trait un peu mémorable de cette journée qui commence consiste en, de-ci de-là, d’assez longs monômes de gens généralement bien mis allant en sens divers et scandant sur l’air des lampions ce mot que j’entends pour la première fois, « Ratapoil, rat-à-poils ! » et qui m’amuse au point de le répéter de ma voix criarde de gamin. Ma mère, qui s’amuse aussi, néanmoins me fait taire bien vite, se doutant que « Ratapoil » est un cri séditieux. Nous remontons le boulevard Montmartre où les mêmes scènes à peu près se renouvellent.

Comme précédemment, l’attitude de la foule n’a rien de foncièrement hostile et même les gouailleries ayant quelque signification nettement anti-Louis-Napoléonienne sont rares. Plus loin, à l’entrée du boulevard Poissonnière, le tumulte se hausse de plusieurs tons, on chante la Marseillaise, les Girondins, on siffle, des blouses clairsemées se mêlent aux « talmas » et des casquettes aux hauts-de-forme. Peu de femmes, mais celles qui se trouvaient là s’exaltaient plus que les hommes dans les chants et dans des gestes qui m’effrayaient, presque toutes des femmes de modeste condition et d’un certain âge. Pas de grisettes, pas de rubans au bonnet, ni de volants à la jupe ni d’escarpins de prunelles. Celle