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de sitka au fort youkon.

Mais alors il serait trop tard pour s’engager dans une carrière plus honorable.

« Je ne rougis pas de mon père et de ma mère, monsieur Serge, ajouta-t-il. Non ! je serais un ingrat ! Dans la limite de ce qu’ils pouvaient faire, ils n’ont rien omis ! Ils ont été bons pour leurs enfants ! Cependant, je sens que je pourrais devenir un homme, et je ne suis destiné qu’à être un pauvre saltimbanque !

— Mon ami, lui répondit M. Serge, je te comprends. Mais laisse-moi te dire que, n’importe quel métier, c’est déjà quelque chose que de l’avoir exercé honnêtement. Connais-tu de plus honnêtes gens que ton père et ta mère ?

— Non, monsieur Serge !

— Eh bien, continue à les estimer comme je les estime moi-même. En voulant t’élever, tu fais preuve d’une noble tendance. Qui sait ce que l’avenir te réserve ? Prends courage, mon enfant, et compte sur mon appui. Je n’oublierai jamais ce que ta famille a fait pour moi, non, jamais ! Et, un jour, si je peux… »

Et, tandis qu’il parlait de la sorte, Jean observait que le front de M. Serge s’obscurcissait, que sa voix était moins assurée. Il semblait regarder l’avenir d’un œil inquiet. Il y eut là un instant de silence que Jean interrompit en disant :

« Une fois arrivé à Port-Clarence, monsieur Serge, pourquoi ne continueriez-vous pas le voyage avec nous ? Puisque vous avez l’intention de retourner en Russie, près de votre père…

— C’est impossible, Jean, répondit M. Serge. Je n’ai point achevé l’exploration que j’ai entreprise à travers les territoires de l’ouest-Amérique.

— Kayette restera-t-elle avec vous ?… » murmura Jean.

Et il dit cela d’une voix si triste, que M. Serge ne put l’entendre sans ressentir une profonde émotion.

« Ne faut-il pas qu’elle m’accompagne, reprit-il, maintenant que je me suis chargé de son avenir ?…

— Elle ne vous quitterait pas, monsieur Serge, et dans votre pays…