Page:Verne - Cinq Semaines en ballon.djvu/250

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Celui-ci, d’ailleurs, et Kennedy tombaient de fatigue.

« Couchez-vous et dormez, mes amis, leur dit Fergusson ; je vais prendre le premier quart ; à deux heures, je réveillerai Kennedy ; à quatre heures, Kennedy réveillera Joe ; à six heures, nous partirons, et que le ciel veille encore sur nous pendant cette dernière journée ! »

Sans se faire prier davantage, les deux compagnons du docteur s’étendirent au fond de la nacelle, et s’endormirent d’un sommeil aussi rapide que profond.

La nuit était paisible ; quelques nuages s’écrasaient contre le dernier quartier de la lune, dont les rayons indécis rompaient à peine l’obscurité. Fergusson, accoudé sur le bord de la nacelle, promenait ses regards autour de lui ; il surveillait avec attention le sombre rideau de feuillage qui s’étendait sous ses pieds en lui dérobant la vue du sol ; le moindre bruit lui semblait suspect, et il cherchait à s’expliquer jusqu’au léger frémissement des feuilles.

Il se trouvait dans cette disposition d’esprit que la solitude rend plus sensible encore, et pendant laquelle de vagues terreurs vous montent au cerveau. À la fin d’un pareil voyage, après avoir surmonté tant d’obstacles, au moment de toucher le but, les craintes sont plus vives, les émotions plus fortes, le point d’arrivée semble fuir devant les yeux.

D’ailleurs, la situation actuelle n’offrait rien de rassurant, au milieu d’un pays barbare, et avec un moyen de transport qui, en définitive, pouvait faire défaut d’un moment à l’autre. Le docteur ne comptait plus sur son ballon d’une façon absolue ; le temps était passé où il le manœuvrait avec audace parce qu’il était sûr de lui.

Sous ces impressions, le docteur put saisir parfois quelques rumeurs indéterminées dans ces vastes forêts ; il crut même voir un feu rapide briller entre les arbres ; il regarda vivement, et porta sa lunette de nuit dans cette direction ; mais rien n’apparut, et il se fit même comme un silence plus profond.

Fergusson avait sans doute éprouvé une hallucination ; il écouta sans surprendre le moindre bruit ; le temps de son quart étant alors écoulé, il réveilla Kennedy, lui recommanda une vigilance extrême, et prit place aux côtés de Joe qui dormait de toutes ses forces.

Kennedy alluma tranquillement sa pipe, tout en frottant ses yeux, qu’il avait de la peine à tenir ouverts ; il s’accouda dans un coin, et se mit à fumer vigoureusement pour chasser le sommeil.

Le silence le plus absolu régnait autour de lui ; un vent léger agitait la cime des arbres et balançait doucement la nacelle, invitant le chasseur à ce sommeil qui l’envahissait malgré lui ; il voulut y résister, ouvrit plu-