Page:Verne - Claudius Bombarnac.djvu/114

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je lui ai dit : « Rassure-toi, Caroline ! Ne t’inquiète pas du trompeur et perfide élément ! Nous irons à travers la Russie, le Turkestan et la Chine, sans quitter la terre ferme ! » Et ce que ça lui a fait plaisir, la mignonnette, si courageuse, si dévouée, si… je ne trouve pas le mot — enfin, monsieur, une dugazon qui jouerait les duègnes au besoin pour ne pas laisser un directeur dans la panade ! Une artiste, une véritable artiste ! »

M. Caterna fait plaisir à entendre. Il est « en pression », comme disent les mécaniciens, et il n’y a qu’à le laisser lâcher sa vapeur. Dût le cas paraître surprenant, il adore sa femme, et je me plais à croire qu’elle le lui rend bien. Un couple assorti, s’il en fut, ainsi que je l’apprends de mon trial, jamais embarrassé, très débrouillard, content de son sort, n’aimant rien tant que le théâtre, surtout le théâtre de province, où Mme Caterna et lui ont joué le drame, le vaudeville, la comédie, l’opérette, l’opéra-comique, l’opéra, les traductions, la pièce à spectacle, la pantomime, heureux des représentations qui commencent à cinq heures et finissent après une heure du matin, sur les grands théâtres de chefs-lieux, dans les salles de mairies, dans les granges de villages, au débotté, sans raccords, sans orchestre, quelquefois même sans spectateurs, — ce qui dispensait de rendre l’argent, — des comédiens à tout faire convenablement en n’importe quel emploi.

En sa qualité de Parisien, M. Caterna a dû être le loustic du gaillard d’avant, lorsqu’il naviguait. Adroit de ses mains comme un escamoteur, adroit de ses pieds comme un danseur de corde, sachant imiter de la langue ou des lèvres tous les instruments de bois et de cuivre, il possède le plus varié assortiment de ponts-neufs, chansons à boire, chansons patriotiques, monologues et saynètes de cafés-concerts. Cela, il me le raconte avec des gestes abondants, faconde intarissable, allant et venant, se déhanchant sur ses jambes écartées et ses pieds un peu en dedans de mathurin en goguette. Je ne m’ennuierai pas en la société d’un compère de si joyeuse allure.

« Et où étiez-vous avant de quitter la France ? lui demandai-je.