Page:Verne - Claudius Bombarnac.djvu/131

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pelle « tchakhtchukh », en langue boukhariote, — nom que Meilhac et Halévy ont sagement fait de ne pas donner à leur célèbre héroïne. Là, c’est un comptoir, où l’on peut se procurer seize espèces de thé, dont onze sont de la catégorie des thés verts, les seuls qui soient en usage à l’intérieur de la Chine et de l’Asie centrale, — entre autres le plus estimé, le « louka », dont il ne faut qu’une feuille pour parfumer toute une théière.

Plus loin, je déambule le long du quai des réservoirs de Divan-beghi, bordant un des côtés d’une place carrée, plantée d’ormes. Non loin s’élève l’Arche, qui est le palais fortifié de l’émir, dont une horloge moderne décore la porte. Arminius Vambéry a trouvé ce palais d’un aspect sinistre, et je suis de son avis, bien que les canons de bronze qui en défendent l’entrée semblent plus artistiques que méchants. N’oublions pas que les soldats boukhares, qui se promènent à travers les rues, culottes blanches, tunique noire, bonnet d’Astrakan, grandes bottes, sont commandés par des officiers russes, dorés sur toutes les coutures.

Près du palais, à droite, se dresse la plus vaste mosquée de la ville, la mosquée de Mesdjidi-Kelan, qui fut bâtie par Abdullah-Khan-Sheibani. C’est un monde de coupoles, de clochetons, de minarets, dont les cigognes paraissent être des hôtes assidus, et de ces oiseaux-là, il y en a quelques milliers par la ville.

Allant toujours à l’aventure, j’arrive sur les bords du Zarafchane, au nord-est de la ville. Ses eaux fraîches et limpides balaient les canaux une ou deux fois par quinzaine. Mesure de salubrité. Et, précisément, l’hygiénique introduction vient d’être faite. Hommes, femmes, enfants, chiens, bipèdes, quadrupèdes, se baignent dans une promiscuité tumultueuse, dont je ne saurais ni donner l’idée ni conseiller l’exemple.

En suivant la direction du sud-ouest, vers le centre de la cité, je croise au passage des groupes de derviches coiffés de bonnets pointus, le grand bâton à la main, la chevelure en coup de vent, s’arrêtant parfois pour prendre leur part d’une danse que n’auraient