Page:Verne - Clovis Dardentor, Hetzel, 1900.djvu/130

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ne nous sommes pas connus autrefois à Perpignan ?… Je me rappelle bien Mme  Elissane et Mademoiselle Louise aussi… un peu grandie, par exemple !… Ah çà ! n’y aurait-il pas un baiser et même deux pour ce bon garçon de Dardentor ?… »

Si Patrice avait espéré que, dans l’entrevue de début, son maître apporterait la réserve d’un homme du monde, il dut être cruellement déçu par cette familière entrée de jeu. Il se retira donc, sévère mais juste, au moment où les lèvres de Clovis Dardentor claquaient sur les joues sèches de Mme  Elissane comme la baguette sur la peau du tambour.

Il va de soi que Louise n’avait pas évité l’étreinte du ménage Désirandelle. Toutefois, et si sans-gêne qu’il fût, M. Dardentor n’alla point jusqu’à gratifier la jeune fille de baisers paternels, qu’elle eût sans doute acceptés de bonne grâce.

Quant au jeune Agathocle, après s’être avancé vers Louise, il l’avait honorée d’un salut mécanique auquel sa tête seule prit part, grâce au jeu des muscles du cou, et il recula sans prononcer une parole.

La jeune fille ne put retenir une moue dédaigneuse dont Clovis Dardentor ne s’aperçut pas, mais qui n’échappa ni à Marcel Lornans ni à Jean Taconnat.

« Eh ! fit le premier, je ne m’attendais pas à voir une si jolie personne !

— Jolie, en effet, ajouta le second.

— Et elle épouserait ce nigaud ?… dit Marcel Lornans.

— Elle ! s’écria Jean Taconnat. Dieu me pardonne, si je n’aimerais pas mieux, pour l’en empêcher, trahir le serment que j’ai fait de ne jamais me marier ! »

Oui ! Jean Taconnat avait fait ce serment-là, — il le disait du moins. Après tout, c’est de son âge, et cela vaut ce que valent tant d’autres qu’on ne tient guère. Observons, d’ailleurs, que Marcel Lornans, lui, n’avait rien juré de semblable. Qu’importait ! L’un et l’autre étaient venus à Oran avec l’intention de s’engager au 7e chasseurs d’Afrique, non pour épouser Mlle  Louise Elissane.