Page:Verne - Clovis Dardentor, Hetzel, 1900.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mentionnons, afin de n’y plus revenir, que la traversée de l’Argèlès entre Palma et Oran s’était accomplie dans des conditions de bien-être extraordinaires. Une mer d’huile, comme on dit, à faire croire que toutes les huiles de la Provence avaient été « filées » à sa surface, une brise du nord-est qui prenait le paquebot par sa hanche de bâbord, et avait permis de l’appuyer de sa trinquette, de ses focs et de sa brigantine. Pas une lame n’avait déferlé pendant ces vingt-trois heures de navigation. Aussi, depuis le départ de Palma, la presque totalité des voyageurs avait repris place à la table commune, et, en fin de compte, la compagnie maritime eût été mal venue à se plaindre de ce nombre inusité de convives.

Quant à M. Oriental, il va sans dire que les tourds, accommodés à la mode napolitaine, lui avaient paru délicieux, et qu’il s’était régalé des encimadas avec la sensualité d’un gourmet professionnel.

On s’expliquera ainsi que tout le monde fût arrivé en bonne santé à Oran, même Mme  Désirandelle, si éprouvée jusqu’à l’archipel des Baléares.

Toutefois, bien qu’il eût reconquis son aplomb physique et moral pendant cette seconde partie du voyage, M. Désirandelle n’avait pas lié connaissance avec les deux Parisiens. Ces jeunes gens le laissaient indifférent. Il les estimait très inférieurs à son fils Agathocle, malgré leur esprit, qui lui paraissait de mauvais goût. Libre à Dardentor de trouver leur commerce agréable, leur conversation amusante. À son avis, cela prendrait fin au mouillage de l’Argèlès.

On l’imagine, M. Désirandelle ne songea donc point à présenter les deux cousins à Mme  Elissane non plus qu’à sa fille. Mais, avec le sans-façon du Méridional et l’habitude qu’il avait de suivre son premier mouvement, Clovis Dardentor, lui, n’hésita point.

« M. Marcel Lornans et M. Jean Taconnat, de Paris, dit-il, deux jeunes amis pour lesquels j’éprouve une vive sympathie qu’ils me rendent, et j’ai l’espoir que notre amitié durera plus que cette trop courte traversée. »