Page:Verne - Clovis Dardentor, Hetzel, 1900.djvu/175

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Marcel Lornans, accoté dans son coin, s’abandonna à ces rêves que l’on fait sans dormir. Il pensait à Louise Elissane, au charme de sa conversation, aux grâces de sa personne… Qu’elle devînt la femme de cet Agathocle, non ! ce n’était pas possible !… L’univers entier protesterait… et M. Dardentor lui-même finirait par se faire le porte-parole de l’univers…

« Froha… Froha !… »

Ce nom, qui semble un cri de corbeau, fut jeté par la voix stridente du conducteur. Aucun voyageur ne descendit du compartiment où le jeune homme se berçait dans ses pensées. Il l’aimait… Oui ! il aimait cette ravissante jeune fille… Cela datait du jour où il l’avait vue pour la première fois sur le pont de l’Argèlès… C’était ce fameux coup de foudre qui frappe même quand le ciel est sans nuages…

« Thiersville… Thiersville ! » fut-il crié vingt minutes après.

Le nom de cet homme d’État, donné à cette station perdue, — un hameau de quelques maisons arabes, — ne tira pas Marcel Lornans de sa rêverie, et Louise Elissane éclipsa totalement l’illustre « libérateur du territoire ».

Le train ne marchait qu’à petite vitesse, en s’élevant vers la station de Traria, sur l’oued du même nom, et dont l’altitude est à cent vingt-six mètres.

À cette station descendirent les trois compagnons de Marcel Lornans, qui demeura seul dans le compartiment.

De la position verticale, il put donc passer à la position horizontale, tandis que le train, après la bourgade de Charrier, longeait la base de montagnes boisées jusqu’à la crête. Sur ses yeux s’appesantirent alors ses paupières, bien qu’il essayât de résister aux exigences d’un sommeil, qui eût peut-être effacé l’image encadrée dans sa rêverie. Mais il succomba, et le nom de Franchetti fut le dernier qu’il crut entendre.

Combien de temps dormit-il, et pourquoi, à demi-éveillé, éprouva-t-il un commencement de suffocation ?… De sa poitrine s’échappaient des gémissements précipités… Il étouffait… La respiration lui man-