Page:Verne - De la Terre à la lune.djvu/105

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
101
le passager de l’atlanta.

voyage ne s’accomplirait-il pas un jour ou l’autre ? Mais, en tout cas, l’homme qui voulait se risquer ainsi devait être fou, et décidément, puisque son projet ne pouvait être pris au sérieux, il eût mieux fait de se taire, au lieu de troubler toute une population par ses billevesées ridicules.

Mais, d’abord, ce personnage existait-il réellement ? Grande question ! Ce nom, « Michel Ardan », n’était pas inconnu à l’Amérique ! Il appartenait à un Européen fort cité pour ses entreprises audacieuses. Puis, ce télégramme lancé à travers les profondeurs de l’Atlantique, cette désignation du navire sur lequel le Français disait avoir pris passage, la date assignée à sa prochaine arrivée, toutes ces circonstances donnaient à la proposition un certain caractère de vraisemblance. Il fallait en avoir le cœur net. Bientôt les individus isolés se formèrent en groupes, les groupes se condensèrent sous l’action de la curiosité comme des atomes en vertu de l’attraction moléculaire, et, finalement, il en résulta une foule compacte, qui se dirigea vers la demeure du président Barbicane.

Celui-ci, depuis l’arrivée de la dépêche, ne s’était pas prononcé ; il avait laissé l’opinion de J.-T. Maston se produire, sans manifester ni approbation ni blâme ; il se tenait coi, et se proposait d’attendre les événements ; mais il comptait sans l’impatience publique, et vit d’un œil peu satisfait la population de Tampa s’amasser sous ses fenêtres. Bientôt des murmures, des vociférations, l’obligèrent à paraître. On voit qu’il avait tous les devoirs et, par conséquent, tous les ennuis de la célébrité.

Il parut donc ; le silence se fit, et un citoyen, prenant la parole, lui posa carrément la question suivante : « Le personnage désigné dans la dépêche sous le nom de Michel Ardan est-il en route pour l’Amérique, oui ou non ?

— Messieurs, répondit Barbicane, je ne le sais pas plus que vous.

— Il faut le savoir, s’écrièrent des voix impatientes.

— Le temps nous l’apprendra, répondit froidement le président.

— Le temps n’a pas le droit de tenir en suspens un pays tout entier, reprit l’orateur. Avez-vous modifié les plans du projectile, ainsi que le demande le télégramme ?

— Pas encore, messieurs ; mais, vous avez raison, il faut savoir à quoi s’en tenir ; le télégraphe, qui a causé toute cette émotion, voudra bien compléter ses renseignements.

— Au télégraphe ! au télégraphe ! » s’écria la foule.

Barbicane descendit, et, précédant l’immense rassemblement, il se dirigea vers les bureaux de l’administration.

Quelques minutes plus tard, une dépêche était lancée au syndic des courtiers de navires à Liverpool. On demandait une réponse aux questions suivantes :