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un meeting.

encore, si on la compare à celle des étoiles ; en effet, pour évaluer l’éloignement de ces astres, il faut entrer dans cette numération éblouissante où le plus petit nombre a neuf chiffres, et prendre le milliard pour unité. Je vous demande pardon d’être si ferré sur cette question, mais elle est d’un intérêt palpitant. Écoutez et jugez ! Alpha du Centaure est à huit mille milliards de lieues, Wega à cinquante mille milliards, Sirius à cinquante mille milliards, Arcturus à cinquante-deux mille milliards, la Polaire à cent dix-sept mille milliards, la Chèvre à cent soixante-dix mille milliards, les autres étoiles à des mille et des millions et des milliards de milliards de lieues ! Et l’on viendrait parler de la distance qui sépare les planètes du Soleil ! Et l’on soutiendrait que cette distance existe ! Erreur ! fausseté ! aberration des sens ! Savez-vous ce que je pense de ce monde qui commence à l’astre radieux et finit à Neptune ? Voulez-vous connaître ma théorie ? Elle est bien simple ! Pour moi, le monde solaire est un corps solide, homogène ; les planètes qui le composent se pressent, se touchent, adhèrent, et l’espace existant entre elles n’est que l’espace qui sépare les molécules du métal le plus compacte, argent ou fer, or ou platine ! J’ai donc le droit d’affirmer, et je répète avec une conviction qui vous pénétrera tous : « La distance est un vain mot, la distance n’existe pas ! »

— Bien dit ! Bravo ! Hurrah ! s’écria d’une seule voix l’assemblée électrisée par le geste, par l’accent de l’orateur, par la hardiesse de ses conceptions.

— Non ! s’écria J.-T. Maston plus énergiquement que les autres, la distance n’existe pas ! »

Et, emporté par la violence de ses mouvements, par l’élan de son corps qu’il eut peine à maîtriser, il faillit tomber du haut de l’estrade sur le sol. Mais il parvint à retrouver son équilibre, et il évita une chute qui lui eût brutalement prouvé que la distance n’était pas un vain mot. Puis le discours de l’entraînant orateur reprit son cours.

« Mes amis, dit Michel Ardan, je pense que cette question est maintenant résolue. Si je ne vous ai pas convaincus tous, c’est que j’ai été timide dans mes démonstrations, faible dans mes arguments, et il faut en accuser l’insuffisance de mes études théoriques. Quoi qu’il en soit, je vous le répète, la distance de la Terre à son satellite est réellement peu importante et indigne de préoccuper un esprit sérieux. Je ne crois donc pas trop m’avancer en disant qu’on établira prochainement des trains de projectiles, dans lesquels se fera commodément le voyage de la Terre à la Lune. Il n’y aura ni choc, ni secousse, ni déraillement à craindre, et l’on atteindra le but rapidement, sans fatigue, en ligne droite, « à vol d’abeille », pour parler le