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Page:Verne - De la Terre à la lune.djvu/18

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de la terre à la lune.

naire, mais ce fut l’œuvre d’un écrivain populaire en Amérique, d’un génie étrange et contemplatif. J’ai nommé Poë !

— Hurrah pour Edgard Poë ! s’écria l’assemblée, électrisée par les paroles de son président.

— J’en ai fini, reprit Barbicane, avec ces tentatives que j’appellerai purement littéraires, et parfaitement insuffisantes pour établir des relations sérieuses avec l’astre des nuits. Cependant, je dois ajouter que quelques esprits pratiques essayèrent de se mettre en communication sérieuse avec lui. Ainsi, il y a quelques années, un géomètre allemand proposa d’envoyer une commission de savants dans les steppes de la Sibérie. Là, sur de vastes plaines, on devait établir d’immenses figures géométriques, dessinées au moyen de réflecteurs lumineux, entre autres le carré de l’hypoténuse, vulgairement appelé le « Pont aux ânes » par les Français. « Tout être intelligent, disait le géomètre, doit comprendre la destination scientifique de cette figure. Les Sélénites[1], s’ils existent, répondront par une figure semblable, et la communication une fois établie, il sera facile de créer un alphabet qui permettra de s’entretenir avec les habitants de la Lune. » Ainsi parlait le géomètre allemand, mais son projet ne fut pas mis à exécution, et jusqu’ici aucun lien direct n’a existé entre la Terre et son satellite. Mais il est réservé au génie pratique des Américains de se mettre en rapport avec le monde sidéral. Le moyen d’y parvenir est simple, facile, certain, immanquable, et il va faire l’objet de ma proposition. »

Un brouhaha, une tempête d’exclamations accueillit ces paroles. Il n’était pas un seul des assistants qui ne fût dominé, entraîné, enlevé par les paroles de l’orateur.

« Écoutez ! écoutez ! Silence donc ! » s’écria-t-on de toutes parts.

Lorsque l’agitation fut calmée, Barbicane reprit d’une voix plus grave son discours interrompu :

« Vous savez, dit-il, quels progrès la balistique a faits depuis quelques années et à quel degré de perfection les armes à feu seraient parvenues, si la guerre eût continué. Vous n’ignorez pas non plus que, d’une façon générale, la force de résistance des canons et la puissance expansive de la poudre sont illimitées. Eh bien ! partant de ce principe, je me suis demandé si, au moyen d’un appareil suffisant, établi dans des conditions de résistance déterminées, il ne serait pas possible d’envoyer un boulet dans la Lune ! »

À ces paroles, un « oh ! » de stupéfaction s’échappa de mille poitrines

  1. Habitants de la Lune.