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où il arrive ce qui arrive à tout robinson

qu’on n’en userait qu’avec toute la discrétion qu’imposait l’incertitude de l’avenir. Ne se servir de ces vêtements que dans la mesure du nécessaire, telle fut la règle à laquelle le professeur dut se soumettre.

« À quoi bon ? disait-il en maugréant, c’est trop de parcimonie, mon cher Godfrey ! Que diable ! nous ne sommes pas des sauvages pour aller à demi nus !

— Je vous demande pardon, Tartelett, répondait Godfrey, nous sommes des sauvages, pas autre chose !

— Comme il vous plaira, mais vous verrez que nous aurons quitté l’île avant d’avoir usé ces habits !

— Je n’en sais rien, Tartelett, et mieux vaut en avoir de reste que d’en manquer !

— Enfin le dimanche au moins, le dimanche, sera-t-il permis de faire un peu de toilette ?

— Eh bien, oui ! le dimanche, et même les jours de fête, répondit Godfrey, qui ne voulut pas trop contrarier son frivole compagnon ; mais, comme c’est précisément lundi aujourd’hui, nous avons toute une semaine avant de nous faire beaux ! »

Il va sans dire que, depuis le moment où il était arrivé sur l’île, Godfrey n’avait pas manqué de marquer chacun des jours écoulés. Aussi, à l’aide du calendrier trouvé dans la malle, avait-il pu constater que ce jour-là était réellement un lundi.

Cependant, chacun s’était partagé la besogne quotidienne, suivant ses aptitudes. Il n’était plus nécessaire de veiller jour et nuit, sur un feu qu’on avait maintenant les moyens de rallumer. Tartelett put donc abandonner, non sans regret, cette tâche, qui lui convenait si bien. Il fut désormais chargé de l’approvisionnement des racines de yamph et de camas, — de celles-ci surtout, qui faisaient le pain quotidien du ménage. Aussi, le professeur allait-il chaque jour à la récolte jusqu’à ces lignes d’arbustes, dont la prairie était bordée en arrière de Will-Tree. C’étaient un ou deux milles à faire, mais il s’y habitua. Puis il s’occupait, entre temps, de recueillir les huîtres ou autres mollusques, dont on consommait une grande quantité.

Godfrey, lui, s’était réservé le soin des animaux domestiques et des hôtes du poulailler. Le métier de boucher n’était pas pour lui plaire, mais enfin il surmontait sa répugnance. Aussi, grâce à lui, le pot-au-feu apparaissait-il fréquemment sur la table, suivi de quelque morceau de viande rôtie, ce qui formait