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kolderup aux prises avec taskinar.

pas volontiers l’épithète d’« honorable », si communément en usage dans le pays. Après tout, comme on dit, c’était un bon cheval de bataille, et peut-être lui en mettait-on sur le dos plus qu’il ne convenait. Ce qui est certain, c’est qu’en mainte occasion il ne se gênait pas pour user du « derringer », qui est le revolver californien.

Quoi qu’il en soit, J.-R. Taskinar haïssait tout particulièrement William W. Kolderup. Il le jalousait pour sa fortune, pour sa situation, pour son honorabilité. Il le méprisait comme un homme gras méprise un homme qu’il a le droit de trouver maigre. Ce n’était pas la première fois que le commerçant de Stockton cherchait à enlever au commerçant de San-Francisco une affaire, bonne ou mauvaise, par pur esprit de rivalité. William W. Kolderup le connaissait à fond, et lui témoignait en toute rencontre un dédain bien fait pour l’exaspérer.

Un dernier succès que J.-R. Taskinar ne pardonnait pas à son adversaire, c’est que ce dernier l’avait proprement battu aux dernières élections de l’État. Malgré ses efforts, ses menaces, ses diffamations, — sans compter les milliers de dollars vainement prodigués par ses courtiers électoraux, — c’était William W. Kolderup qui siégeait à sa place au Conseil législatif de Sacramento.

Or, J.-R. Taskinar avait appris, — comment ? je ne pourrais le dire, — que l’intention de William Kolderup était de se porter acquéreur de l’île Spencer. Cette île, sans doute, lui serait aussi inutile qu’elle le serait à son rival. Peu importait. Il y avait là une nouvelle occasion d’entrer en lutte, de combattre, de vaincre peut-être : J.-R. Taskinar ne pouvait la laisser échapper.

Et voilà pourquoi J.-R. Taskinar était venu à la salle de l’« auction », au milieu de cette foule de curieux, qui ne pouvait pressentir ses desseins ; pourquoi, à tout le moins, il avait préparé ses batteries ; pourquoi, avant d’agir, il avait attendu que son adversaire eût couvert la mise à prix, si haute qu’elle fût.

Enfin William W. Kolderup avait lancé cette surenchère :

« Douze cent mille dollars ! »

Et J.-R. Taskinar, au moment où William W. Kolderup pouvait se croire définitivement adjudicataire de l’île, s’était révélé par ces mots jetés d’une voix de stentor :

« Treize cent mille dollars ! »

Tout le monde, on l’a vu, s’était retourné.