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le gouffre de corryvrekan.

nom à un prince scandinave, dont le navire y périt dans les temps celtiques. En réalité, c’est un passage dangereux, où bien des bâtiments ont été entraînés à leur perte, et qui, pour la mauvaise réputation de ses courants, peut le disputer au sinistre Maelström des côtes de Norvège.

Cependant miss Campbell ne cessait de regarder les violentes fluctuations de ce raz, lorsque son attention fut plus particulièrement attirée sur un point du détroit. Là, on aurait pu croire qu’un roc émergeait au milieu de la passe, si sa masse ne se fût élevée et abaissée avec les ondulations de la houle.

« Voyez, voyez, capitaine, dit miss Campbell, si ce n’est pas un rocher, qu’est-ce donc ?

— En effet, répondit le capitaine, ce ne peut être qu’une épave, entraînée par les courants, ou plutôt… »

Et prenant sa lunette :

« Une embarcation ! s’écria-t-il.

— Une embarcation ! répondit miss Campbell.

— Oui !… Je ne me trompe pas !… Une chaloupe en perdition sur les eaux du Corryvrekan ! »

À ces paroles du capitaine, les passagers s’étaient aussitôt portés sur la passerelle. Ils regardaient dans la direction du gouffre. Qu’une embarcation eût été entraînée dans la passe, il n’y avait plus aucun doute possible. Prise par les courants de la marée montante, engagée dans l’attraction des remous, elle courait à une perte certaine.

Tous les regards étaient fixés sur ce point du gouffre, à quatre ou cinq milles du Glengarry.

« Ce n’est probablement qu’une chaloupe en dérive, fit observer un des passagers.

— Mais non ! j’aperçois un homme, répondit un autre.

— Un homme… deux hommes ! » s’écria Partridge, qui était venu se placer près de miss Campbell.

En effet, il y avait là deux hommes. Ils n’étaient plus maîtres de cette embarcation. Avec le peu de brise qui venait de terre, leur voile n’aurait pu les tirer des remous, et les avirons eussent été impuissants à les rejeter hors de l’attraction du Corryvrekan.

« Capitaine ! s’écria miss Campbell, nous ne pouvons laisser périr ces malheureux !… Ils sont perdus, si on les abandonne à eux-mêmes !… Il faut aller à leur secours !… Il le faut !… »