Page:Verne - L’École des Robinsons - Le Rayon vert.djvu/344

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
124
le rayon-vert

À six heures du soir, les observateurs, groupés en un endroit bien découvert, occupaient leur poste.

C’était à l’extrémité septentrionale de l’île, sur la crête supérieure de la colline de l’Abbé. De ce sommet, le regard pouvait circulairement embrasser, dans l’est, toute la portion élevée de l’île de Mull. Au nord, l’îlot de Staffa apparaissait comme une énorme carapace de tortue, échouée dans les eaux des Hébrides. Au delà, Elva et Gometra se détachaient du littoral prolongé de la grande île. Vers l’ouest, le sud-ouest et le nord-ouest, se développait l’immense mer.

Le soleil s’abaissait rapidement par une trajectoire oblique. Le périmètre de l’horizon se dessinait d’un trait noir, qu’on eût cru tracé à l’encre de Chine. À l’opposé, toutes les fenêtres des maisons d’Iona s’enflammaient comme au reflet d’un incendie, dont les flammes auraient été des flammes d’or.

Miss Campbell et Olivier Sinclair, les frères Melvill, dame Bess et Partridge, saisis par ce sublime spectacle, restaient silencieux. Ils regardaient, en fermant à demi leurs paupières, ce disque qui se déformait, qui se gonflait parallèlement à la ligue d’eau, et prenait la forme d’une énorme montgolfière écarlate. Il n’y avait pas une seule vapeur au large.

« Je crois que nous le tenons, cette fois, redit le frère Sam.

— Je le crois aussi, répondit le frère Sib.

— Silence, mes oncles !.. » s’écria miss Campbell.

Et ils se turent, et ils retinrent leur respiration, comme s’ils eussent craint qu’elle ne se condensât sous la forme d’un léger nuage, qui aurait pu voiler le disque du soleil.

L’astre avait enfin mordu l’horizon de son bord inférieur. Il s’élargissait, il s’élargissait encore, comme s’il se fût empli intérieurement d’un lumineux fluide.

Tous aspiraient des yeux ses derniers rayons.

Tel Arago, installé dans les déserts de Palma, sur la côte d’Espagne, épiait le signal de feu qui devait apparaître au sommet de l’île d’Iviça, et lui permettre de fermer le dernier triangle de sa méridienne !

Enfin, un léger segment de l’arc supérieur, ce fut tout ce qui resta du disque à l’affleurement des eaux. Avant quinze secondes, le suprême rayon allait être lancé dans l’espace, et donnerait aux yeux, prêts à la recevoir, cette impression d’un vert paradisiaque !…