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conversation de phina et de godfrey.

— D’un départ ?…

— Oui, le départ de Godfrey, reprit miss Phina, de Godfrey, qui, avant de se marier, éprouve le besoin de courir un peu le monde !

— Tu veux partir… toi ?… s’écria William W. Kolderup, en marchant vers le jeune homme, dont il saisit le bras, comme s’il avait peur que ce « coquin de neveu » ne lui échappât.

— Oui, oncle Will, répondit bravement Godfrey.

— Et pour combien de temps ?

— Pour dix-huit mois, ou deux ans, au plus, si….

— Si ?…

— Si vous voulez bien le permettre, et si Phina veut bien m’attendre jusque-là !

— T’attendre ! Voyez-vous ce prétendu qui ne prétend qu’à s’en aller ! s’écria William W. Kolderup.

— Il faut laisser faire Godfrey, répondit la jeune fille. Parrain Will, j’ai bien réfléchi à tout cela. Je suis jeune, mais, en vérité, Godfrey est encore plus jeune que moi ! Les voyages le vieilliront, et je pense qu’il ne faut pas contrarier ses goûts ! Il veut voyager, qu’il voyage ! Le besoin du repos lui viendra ensuite, et il me retrouvera au retour.

— Quoi ! s’écria William W. Kolderup, tu consens à donner la volée à cet étourneau ?

— Oui, pour les deux ans qu’il demande !

— Et tu l’attendras ?…

— Oncle Will, si je n’étais pas capable de l’attendre, c’est que je ne l’aimerais pas ! »

Cela dit, miss Phina était revenue vers son piano, et, soit qu’elle le voulût ou non, ses doigts jouaient en sourdine un morceau très à la mode, le Départ du Fiancé, qui était bien de circonstance, on en conviendra. Mais Phina, sans s’en apercevoir peut-être, le jouait en « la » mineur, bien qu’il fût écrit en « la » majeur. Aussi, tout le sentiment de la mélodie se transformait avec ce mode, et sa couleur plaintive rendait bien les intimes impressions de la jeune fille.

Cependant Godfrey, embarrassé, ne disait mot. Son oncle lui avait pris la tête, et, la tournant en pleine lumière, il le regardait. De cette façon, il l’interrogeait, sans avoir besoin de parler, et lui, répondait sans avoir besoin de répondre.