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EN FACE L’UN DE L’AUTRE.

tant. On l’eût dite hantée ou visionnée. Il revint vers la façade orientée à l’ouest. Puis, il s’approcha de la porte, pour la repousser si elle ne tenait que par un loquet, pour la forcer si le pêne s’engageait encore dans la gâche de la serrure.

Mais alors le sang lui monta aux yeux. Il vit « rouge » comme on dit, mais rouge de feu. Cette maison, qu’il voulait visiter encore une fois, il n’osait plus y entrer. Il lui semblait que son père, sa mère, allaient apparaître sur le seuil, les bras étendus, le maudissant, lui, le mauvais fils, le mauvais citoyen, traître à la famille, traître à la patrie !

À ce moment, la porte s’ouvrit avec lenteur. Une femme parut sur le seuil. Elle était vêtue du costume maniote, — un jupon de cotonnade noire à petite bordure rouge, une camisole de couleur sombre, serrée à la taille, sur sa tête un large bonnet brunâtre, enroulé d’un foulard aux couleurs du drapeau grec.

Cette femme avait une figure énergique, avec de grands yeux noirs d’une vivacité un peu sauvage, un teint hâlé comme celui des pêcheuses du littoral. Sa taille était haute, droite, bien qu’elle fût âgée de plus de soixante ans.

C’était Andronika Starkos. La mère et le fils, séparés depuis si longtemps de corps et d’âme, se trouvaient alors face à face.