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LES TROIS GARDIENS.

Dans les autres directions, les falaises arrêtaient le regard à quelques centaines de toises de l’enceinte. D’où cette obligation de se tenir en permanence dans la chambre de quart, afin de pouvoir communiquer avec les navires.

Les premiers jours qui suivirent le départ de l’aviso ne furent marqués par aucun incident. Le temps demeurait beau, la température assez élevée. Le thermomètre accusait parfois dix degrés au-dessus du zéro centigrade. Le vent soufflait du large, et généralement en petite brise entre le lever et le coucher du soleil ; puis, avec le soir, il halait la terre, c’est-à-dire qu’il remontait au nord-ouest, et venait des vastes plaines de la Patagonie et de la Terre-de-Feu. Il y eut cependant quelques heures de pluie, et, comme la chaleur s’accroissait, il fallait s’attendre à de prochains orages, qui pourraient modifier l’état atmosphérique.

Sous l’influence des rayons solaires, qui acquéraient une force vivifiante, la flore commença à se manifester dans une certaine mesure. La prairie voisine de l’enceinte, entièrement dépouillée du manteau blanc de l’hiver, montrait son tapis d’un vert pâle. Dans le bois des hêtres antarctiques, on aurait même eu plaisir à s’étendre sous les frondaisons nouvelles. Le ruisseau largement alimenté coulait à pleins bords jusqu’à la crique. Les mousses, les lichens reparaissaient au pied des arbres et tapissaient le flanc des roches, de même que ces cochléarias si efficaces contre les affections scorbutiques. Enfin, si ce n’était pas le printemps — ce joli mot n’a pas cours en Magellanie — c’était l’été qui pour quelques semaines encore régnait sur l’extrême limite du continent américain.

Cette journée finie, avant que le moment ne fût venu d’allumer le phare, Vasquez, Felipe et Moriz, assis tous trois sur le balcon circulaire qui régnait autour de la lanterne, causaient suivant leur habitude, et tout naturellement le gardien-chef dirigeait et entretenait la conversation.