Page:Verne - Le Beau Danube Jaune.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

servait quelques fermes dont les fermiers allaient vendre leurs produits dans les bourgades voisines et jusqu’à Presbourg. Or, comme cette route était la seule qui conduisît à la jonction de la rivière et du fleuve, il y aurait nécessité de la suivre, et il était possible qu’elle fût surveillée depuis les nouvelles mesures prises par la Commission internationale en vue de réprimer la fraude par l’arrestation des fraudeurs.

Au surplus, même en venant des premières gorges des Karpates, les charrettes n’avaient roulé que de nuit, et c’est ce qu’elles feraient encore jusqu’au terme de leur voyage.

Après un dernier coup à la suite de bien d’autres, les deux hommes éprouvèrent une irrésistible envie de dormir. Ils n’avaient point besoin de lits. Quelques bottes de paille jetées dans une étable, vide alors, leur suffirait, et, après avoir recommandé à l’aubergiste de les réveiller « s’il y avait du nouveau », ils s’étendirent l’un près de l’autre, et cinq minutes ne s’étaient point écoulées qu’ils dormaient déjà à poings fermés.

Pendant qu’ils reposaient, à plusieurs reprises des passants entrèrent dans l’auberge et se firent servir à boire, mais ils en repartirent presque aussitôt. C’étaient des paysans retournant aux fermes les plus rapprochées, ou des chemineaux, la besace au dos, le bâton à la main, qui se dirigeaient du côté de Presbourg.

L’un d’eux, en causant, fut amené à dire que la police battait la campagne dans les environs, et que décidément, il n’y avait plus de sécurité pour les honnêtes gens.

L’aubergiste se contenta de hausser les épaules en souhaitant audit chemineau de ne point se laisser prendre. Mais il tint compte du renseignement, et se promit d’en parler à ses hôtes. Il était rare que les agents parcourussent les Petites Karpates et, s’ils le faisaient actuellement, ce ne pouvait être sans quelque sérieux motif.

Vers cinq heures, lorsque les deux hommes furent éveillés, ils rentrèrent dans la salle, et leur première question fut encore celle qu’ils avaient déjà faite le matin :

« Ils ne sont pas encore là ?…

— Pas encore, répondit l’aubergiste, mais, je vous le répète, il n’arrivera pas avant le soir… J’ai été prévenu par un de ses compagnons… Il aura raison d’être prudent, d’ailleurs, car les agents de la police et de la douane rôdent aux environs de la Morave. »

Cette nouvelle parut inquiéter les deux hommes, a aussitôt l’un d’eux demanda si quelqu’un de ces policiers s’était présenté à l’auberge.

« Aucun, répondit l’aubergiste, mais j’ai été informé par un chemineau qui les avait rencontrés sur sa route. »

86