Page:Verne - Le Château des Carpathes.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

on ne s’étonnera pas que Werst fût l’un des plus arriérés villages du comitat de Kolosvar. Comment en pourrait-il être autrement dans ces endroits où chacun naît, grandit, meurt, sans les avoir jamais quittés !

Et pourtant, fera-t-on observer, il y a un maître d’école et un juge à Werst ? Oui, sans doute. Mais le magister Hermod n’est capable d’enseigner que ce qu’il sait, c’est-à-dire un peu à lire, un peu à écrire, un peu à compter. Son instruction personnelle ne va pas au delà. En fait de science, d’histoire, de géographie, de littérature, il ne connaît que les chants populaires et les légendes du pays environnant. Là-dessus, sa mémoire le sert avec une rare abondance. Il est très fort en matière de fantastique, et les quelques écoliers du village tirent grand profit de ses leçons.

Quant au juge, il convient de s’entendre sur cette qualification donnée au premier magistrat de Werst.

Le biró, maître Koltz, était un petit homme de cinquante-cinq à soixante ans, Roumain d’origine, les cheveux ras et grisonnants, la moustache noire encore, les yeux plus doux que vifs. Solidement bâti comme un montagnard, il portait le vaste feutre sur la tête, la haute ceinture à boucle historiée sur le ventre, la veste sans manches sur le torse, la culotte courte et demi-bouffante, engagée dans les hautes bottes de cuir. Plutôt maire que juge, bien que ses fonctions l’obligeassent à intervenir dans les multiples difficultés de voisin à voisin, il s’occupait surtout d’administrer son village autoritairement et non sans quelque agrément pour sa bourse. En effet, toutes les transactions, achats ou ventes, étaient frappées d’un droit à son profit — sans parler de la taxe de péage que les étrangers, touristes ou trafiquants, s’empressaient de verser dans sa poche.

Cette situation lucrative avait valu à maître Koltz une certaine aisance. Si la plupart des paysans du comitat sont rongés par l’usure, qui ne tardera pas à faire des prêteurs israélites les véritables propriétaires du sol, le biró avait su échapper à leur rapacité. Son bien, libre d’hypothèques, « d’intabulations », comme on dit en cette con-