Page:Verne - Le Château des Carpathes.djvu/93

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Le forestier comprit, à première vue, qu’il n’y avait pas moyen de procéder autrement, et voilà pourquoi, suivi de l’inconscient docteur, il descendit par un raidillon oblique le revers interne de la contrescarpe.

Tous deux eurent bientôt atteint le fond du fossé, semé de pierres entre le fouillis des plantes sauvages. On ne savait trop où l’on posait le pied, et si des myriades de bêtes venimeuses ne fourmillaient pas sous les herbes de cette humide excavation.

Au milieu du fossé et parallèlement à la courtine, se creusait le lit de l’ancienne cunette, presque entièrement desséchée, et qu’une bonne enjambée permettait de franchir.

Nic Deck, n’ayant rien perdu de son énergie physique et morale, agissait avec sang-froid, tandis que le docteur le suivait machinalement, comme une bête que l’on tire par une corde.

Après avoir dépassé la cunette, le forestier longea la base de la courtine pendant une vingtaine de pas, et s’arrêta au-dessous de la poterne, à l’endroit où pendait le bout de chaîne. En s’aidant des pieds et des mains, il pourrait aisément atteindre le cordon de pierre qui faisait saillie au-dessous de l’embrasure.

Évidemment, Nic Deck n’avait pas la prétention d’obliger le docteur Patak à tenter avec lui cette escalade. Un aussi lourd bonhomme ne l’aurait pu. Il se borna donc à le secouer vigoureusement pour se faire comprendre, et lui recommanda de rester sans bouger au fond du fossé.

Puis, Nic Deck commença à grimper le long de la chaîne, et ce ne fut qu’un jeu pour ses muscles de montagnard.

Mais, lorsque le docteur se vit seul, voilà que le sentiment de la situation lui revint dans une certaine mesure. Il comprit, il regarda, il aperçut son compagnon déjà suspendu à une douzaine de pieds au-dessus du sol, et, alors, de s’écrier d’une voix étranglée par les affres de la peur :

« Arrête… Nic… arrête ! »

Le forestier ne l’écouta point.