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journal du passager j.-r. kazallon.

épouvantés, nous avons pu dominer du regard cette mer qui écume comme si elle brisait sur des écueils.

Puis, le radeau reprend presque aussitôt sa position horizontale ; mais, pendant ce déplacement oblique, les saisines des barriques ont cassé. J’en ai vu une passer par dessus le bord, et l’autre se défoncer en laissant échapper l’eau qu’elle contient.

Des matelots se précipitent pour retenir le second baril qui renferme les conserves de viande sèche. Mais le pied de l’un d’eux se prend entre les planches disjointes de la plate-forme qui se resserrent, et le malheureux pousse des hurlements de douleur.

Je veux courir à lui, je parviens à dénouer les cordes qui me lient… Il est trop tard, et, dans un éclair éblouissant, je vois l’infortuné, dont le pied s’est dégagé, emporté par un coup de mer qui nous couvre en grand. Son camarade a disparu avec lui, sans qu’il ait été possible de leur porter secours.

Quant à moi, le coup de mer m’a étendu sur la plate-forme, et ma tête ayant porté sur l’angle d’un espar, j’ai perdu connaissance.

xxxvi

— 22 décembre. — Le jour est enfin arrivé, et le soleil a paru entre les derniers nuages que la tempête a laissés derrière elle. Cette lutte des éléments n’a duré que quelques heures, mais elle a été effroyable, et l’air et l’eau se sont heurtés avec une violence sans pareille.

Je n’ai pu indiquer que les incidents principaux, car l’évanouissement qui a suivi ma chute ne m’a pas permis d’observer la fin de ce cataclysme. Je sais seulement que, peu de temps après le coup de mer, l’ouragan s’est calmé sous l’action de violentes averses, et que la tension électrique de l’atmosphère s’est amoindrie. La tempête ne s’est donc pas prolongée au delà de la nuit. Mais en ce court espace de temps, que de dommages elle nous a causés, quelles irréparables pertes, et, par suite, que de misères nous attendent ! Nous n’avons pas même pu conserver une goutte de ces torrents d’eau qu’elle a versés !

Je suis revenu à moi, grâce aux soins de MM. Letourneur et de miss Herbey, mais c’est à Robert Kurtis que je dois de ne pas avoir été emporté par un second coup de mer.