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MARTIN PAZ[1]


I

Le soleil venait de disparaître au-delà des pics neigeux des Cordillères ; mais sous ce beau ciel péruvien, à travers le voile transparent des nuits, l’atmosphère s’imprégnait d’une lumineuse fraîcheur. C’était l’heure à laquelle on pouvait vivre de la vie européenne et chercher en dehors des verandahs quelque souffle bienfaisant.

Tandis que les premières étoiles se levaient à l’horizon, de nombreux promeneurs allaient par les rues de Lima, enveloppés de leur manteau léger et causant gravement des affaires les plus futiles. Il y avait un grand mouvement de population sur la Plaza-Mayor, ce forum de l’ancienne Cité des rois. Les artisans profitaient de la fraîcheur pour vaquer à leurs travaux journaliers, et ils circulaient activement au milieu de la foule, criant à grand bruit l’excellence de leur marchandise. Les femmes, soigneusement encapuchonnées dans la mante qui leur masquait le visage, ondoyaient à travers les groupes de fumeurs. Quelques señoras, en toilette de bal, coiffées seulement de leur abondante chevelure relevée de fleurs naturelles, se prélassaient dans de larges calèches. Les Indiens passaient sans lever les yeux, se sachant trop bas pour être aperçus, ne trahissant ni par un geste ni par un mot la sourde envie qui les dévorait, et ils contrastaient ainsi avec ces métis rebutés comme eux, mais dont les protestations étaient plus bruyantes.


  1. Martin Paz est (avec Maître Zacharius, Un Hivernage dans les Glaces et Un Drame dans les Airs, publiés dans le volume des Œuvres de M. Verne qui a pour titre général le Docteur Ox) une des œuvres de début de l’auteur, antérieures à la publication de Cinq Semaines en Ballon. L’auteur n’avait pas encore trouvé le genre qu’il a créé et qui a rendu son nom célèbre. Mais il est curieux de le suivre jusque dans ces essais. Ils contiennent déjà quelques-uns des germes qui font de l’œuvre générale de Jules Verne une œuvre à part dans notre littérature, et à ce titre ils méritaient d’être conservés. J. Hetzel.