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martin paz.

« Mon fils n’a donc pas pitié de mes larmes, dit le Sambo, puisqu’il me laisse si longtemps croire à sa mort ?

— Est-ce à la veille d’une révolte, demanda Manangani, que Martin Paz, notre chef, devait se trouver dans le camp de nos ennemis ? »

Martin Paz ne répondit ni à son père ni à l’Indien.

« Ainsi, nos intérêts les plus graves ont été sacrifiés à une femme ? »

Et, en parlant ainsi, Manangani s’était rapproché de Martin Paz, un poignard à la main. Martin Paz ne le regarda même pas.

« Parlons d’abord, dit le Sambo. Nous agirons plus tard. Si mon fils manque à ses frères, je saurai maintenant sur qui venger sa trahison. Qu’il prenne garde ! la fille du juif Samuel n’est pas si bien cachée qu’elle puisse nous échapper ! Mon fils réfléchira, d’ailleurs. Frappé d’une condamnation à mort, il n’a plus dans cette ville une pierre pour reposer sa tête. Si, au contraire, il délivre son pays, c’est pour lui l’honneur et la liberté ! »

Martin Paz demeura silencieux, mais un combat terrible se livrait en lui. Le Sambo venait de faire vibrer les cordes de cette fière nature.

Martin Paz était indispensable aux projets des révoltés ; il jouissait d’une autorité suprême sur les Indiens de la ville ; il les manœuvrait à sa guise, et, rien que d’un signe, il les eût entraînés à la mort.

Les liens qui l’enchaînaient furent détachés par l’ordre du Sambo. Martin Paz se releva.

« Mon fils, lui dit l’Indien, qui l’observait avec attention, demain, pendant la fête des Amancaës, nos frères tomberont comme une avalanche sur les Liméniens désarmés. Voici le chemin des Cordillères, voici le chemin de la ville. Tu es libre.

— Aux montagnes ! s’écria Martin Paz. Aux montagnes, et malheur à nos ennemis ! »

Et le soleil levant éclaira de ses premiers rayons le conciliabule des chefs indiens au sein des Cordillères.

IX

Le jour de la grande fête des Amancaës, le 24 juin, était arrivé. Les habitants, à pied, à cheval, en voiture, se rendaient sur un plateau célèbre, situé à une demi-lieue de la ville. Métis et Indiens s’entremêlaient dans la fête commune ; ils