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le chancellor.

ce n’est plus un incendie seulement, mais une épouvantable explosion qui les menace.

Quelques hommes, ne se possédant plus, veulent s’enfuir à tout prix et sans retard.

« Le canot ! le canot ! » crient-ils.

Ils ne voient pas, ils ne veulent pas voir, les insensés, que la mer est démontée, qu’aucune embarcation ne peut braver ces lames qui déferlent à une prodigieuse hauteur ! Rien ne peut les retenir, et ils n’écoutent plus la voix de leur capitaine, Robert Kurtis se jette au milieu de son équipage, mais en vain. Le matelot Owen excite ses camarades ; les saisines du canot sont larguées, et il est repoussé en dehors.

L’embarcation se balance un instant dans l’air, et, obéissant au roulis du navire, va buter contre la lisse. Un dernier effort des matelots la dégage, et elle est sur le point d’atteindre la mer, lorsqu’une lame monstrueuse la prend par dessous, l’écarte un instant, et, avec une force irrésistible, la broie contre le flanc du Chancellor.

La chaloupe et le canot sont détruits, et il ne nous reste plus, maintenant, qu’une fragile et étroite baleinière.

Les matelots, frappés de stupeur, demeurent immobiles. On n’entend plus que les sifflements du vent dans les agrès et le ronflement de l’incendie. La fournaise se creuse profondément au centre du navire, et des torrents de vapeurs fuligineuses, s’échappant du panneau, montent vers le ciel. Du gaillard d’avant à la dunette, on ne se voit plus, et une barrière de flammes sépare le Chancellor en deux parties.

Les passagers et deux ou trois hommes de l’équipage se sont réfugiés à l’arrière de la dunette. Mrs. Kear est étendue sans connaissance sur une des cages à poules, et miss Herbey est auprès d’elle. M. Letourneur a saisi son fils dans ses bras et le presse sur sa poitrine. Une agitation nerveuse s’est emparée de moi, et je ne puis la calmer. L’ingénieur Falsten consulte froidement sa montre et note l’heure sur son carnet.

Que se passe-t-il à l’avant, où se tiennent, sans doute, le lieutenant, le bosseman et le reste de l’équipage, que nous ne pouvons plus voir ? Toute communication est interrompue entre les deux moitiés du bâtiment, et nul ne pourrait traverser le rideau de flammes qui s’échappe du grand panneau.

Je m’approche de Robert Kurtis.

« Tout est perdu ? lui ai-je demandé.

— Non, me répond-il. Puisque le panneau est ouvert, nous allons jeter un