Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/179

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déjà une sensible amélioration à l’état de Mme Keller. La courageuse femme ! C’était la force physique qui lui manquait, non l’énergie morale !

Chien de sort ! Voilà que dans l’après-midi du 16, des figures suspectes commencèrent à se montrer dans le village, de ces tâteurs de poules, qui viennent fureter au fond des poulaillers. Qu’il y eût des pillards parmi eux, nul doute. Mais il n’était que trop facile de voir qu’ils appartenaient à la race allemande, et que la plupart faisaient le métier d’espion.

À notre grand effroi, M. Jean dut se cacher, par crainte d’être reconnu. Comme cela pouvait paraître singulier à la famille Stenger, j’étais presque décidé à tout dire, lorsque, vers cinq heures du soir, Hans rentra, criant :

« Les Autrichiens !… Les Autrichiens ! »

En effet, plusieurs milliers d’hommes, à vestes blanches, à schakos avec haute plaque et aigle à deux têtes — des kaiserlicks — arrivaient par le défilé de la Croix-aux-Bois, après l’avoir suivi depuis le village de Boult. Sans doute, des espions leur avaient appris que le chemin était libre. Qui sait si toute l’invasion ne parviendrait pas à passer par là !

Au cri poussé par Hans Stenger, M. Jean avait reparu dans la chambre où sa mère était couchée.

Je le vois encore. Il se tenait devant l’âtre. Il attendait !… Qu’attendait-il ?… Que toute issue lui fût fermée ? Mais prisonnier des Autrichiens, les Prussiens sauraient bien le réclamer, et pour lui, c’était la mort !

Mme Keller se redressa sur son lit.

« Jean, dit-elle, fuis… fuis à l’instant !

— Sans toi, ma mère !…

— Je le veux !

— Fuyez, Jean ! dit Mlle Marthe. Votre mère est la mienne !… Nous ne l’abandonnerons pas !

— Marthe !…