Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/209

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colonne prussienne se rencontra sur la route de Châlons avec l’arrière-garde de Kellermann, dont quelques compagnies s’étant jetées à travers le petit bois, mirent en fuite le peloton prussien qui allait nous fusiller.

Maintenant, nous deux M. Jean, nous étions au plus fort de la mêlée, là où précisément j’avais retrouvé mes camarades de Royal-Picardie.

« Delpierre ?… s’était écrié un des officiers de mon escadron, en m’apercevant au moment où les boulets commençaient à labourer nos rangs.

— Présent, mon capitaine ! répondis-je.

— Eh ! te voilà revenu à temps !

— Comme vous voyez, pour me battre !

— Mais tu es à pied ?…

— Eh bien, mon capitaine, je me battrai à pied, et je n’en ferai pas plus mauvaise besogne ! »

On nous avait donné des armes à M. Jean et à moi, chacun un fusil et un sabre. Les buffleteries se croisaient sur nos vêtements en lambeaux, et, si nous n’avions pas d’uniforme, c’est que le tailleur du régiment n’avait pas eu le temps de nous prendre mesure !

Je dois dire que les Français furent repoussés au début de l’action ; mais les carabiniers du général Valence accoururent et rétablirent l’ordre un instant troublé.

Et, pendant ce temps, le brouillard, déchiré par les décharges de l’artillerie, s’était dissipé. On se battait en plein soleil. Dans l’espace de deux heures, vingt mille coups de canon s’échangèrent entre les hauteurs de Valmy et celles de la Lune. — On a dit vingt mille ?… Bon !… Mettons vingt et un mille, et n’en parlons plus ! En tout cas, suivant le proverbe, mieux valait entendre cela que d’être sourd !

En ce moment, la place près du moulin de Valmy était difficile à tenir. Les boulets raclaient des files entières. Le cheval de Kellermann venait d’être éventré. Non seulement les collines de la Lune appartenaient aux Prussiens, mais ils allaient s’emparer de