Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/73

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Il est donc certain que ma situation à Belzingen s’empirait de jour en jour. Évidemment, elle ne serait pas meilleure pour la famille de Lauranay ni pour ma sœur Irma, une fois la guerre déclarée. De se trouver en Allemagne dans ces conditions, cela devait leur créer plus que des embarras, des périls réels, et il convenait de se tenir prêt à toute éventualité.

J’en causais souvent à ma sœur. La bonne créature voulait en vain cacher ses inquiétudes. La crainte d’être séparée de Mme Keller ne lui laissait plus un instant de repos. Quitter cette famille ! Jamais elle n’avait eu la pensée que l’avenir lui réserverait un tel malheur ! S’éloigner de ces êtres aimés, près desquels, lui semblait-il, sa vie devait s’écouler toute entière, se dire que, peut-être, il ne lui serait plus possible de les revoir, si les événements tournaient mal, cela était bien pour lui fendre l’âme.

« J’en mourrai, me répétait-elle, oui, Natalis, j’en mourrai.

— Je te comprends, Irma, répondais-je, la situation est difficile, mais il faut tout faire pour s’en sortir. Voyons ! ne pourrait-on décider madame Keller à quitter Belzingen à présent qu’elle n’a plus aucune raison de tenir à ce pays. Je trouve même qu’il serait prudent de prendre cette résolution avant que les choses se soient gâtées tout à fait.

— Ce serait sage, Natalis, et, pourtant, madame Keller ne consentira point à partir sans son fils.

— Et pourquoi monsieur Jean se refuserait-il à la suivre ! Qui le retient en Prusse ? Ses affaires à régler ?… Il les réglera plus tard ! Ce procès qui n’en finit pas ?… Est-ce que, dans les circonstances actuelles, il ne faudra pas attendre des mois et des mois avant d’obtenir un jugement ?

— Probable, Natalis.

— D’ailleurs, ce qui m’inquiète surtout, c’est que le mariage de monsieur Jean et de mademoiselle Marthe n’est pas encore fait ! Sait-on quels empêchements, quels retards peuvent survenir ? Que l’on expulse les Français de l’Allemagne — ce qui est fort possible —