Page:Verne - Le Chemin de France, Hetzel, 1887.djvu/90

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compte, quelle satisfaction ! Rencontrer cet insolent, le provoquer, m’aligner avec lui à la pointe, à la contre-pointe, au pistolet d’arçon, à tout ce qui lui aurait convenu, et se battre jusqu’à ce que l’un de nous deux fût par terre ! Et si c’eût été lui, je n’aurais pas eu besoin d’un mouchoir de six quarts pour le pleurer !

Enfin, puisque les deux camarades du lieutenant étaient annoncés, il fallait les attendre.

Tous deux vinrent dans la soirée, vers huit heures.

Très heureusement, Mme Keller se trouvait alors en visite chez M. de Lauranay. Mieux valait qu’elle ne sût rien de ce qui allait se passer.

De son côté, ma sœur Irma était sortie pour régler quelques derniers comptes chez les marchands. Cela resterait donc entre M. Jean et moi.

Les officiers, deux lieutenants, se présentèrent avec leur arrogance naturelle, ce qui ne m’étonna pas. Ils voulurent faire valoir qu’un noble, un officier, lorsqu’il consentait à se battre avec un simple bourgeois du commerce… Mais M. Jean les coupa net par son attitude, et se borna à dire qu’il était aux ordres de M. Frantz von Grawert. Inutile d’ajouter de nouvelles insultes à celles que contenait déjà la lettre de provocation. Ceci fut envoyé et bien envoyé.

Les officiers se décidèrent donc à remettre leur jactance au fourreau.

L’un d’eux fit alors observer qu’il convenait de régler sans retard les conditions du duel, car le temps pressait.

M. Jean répondit qu’il acceptait toutes conditions d’avance. Il demandait seulement qu’on ne mêlât aucun nom étranger à cette affaire, et que la rencontre fût tenue aussi secrète que possible.

À cela les deux officiers ne firent aucune objection. Ils n’avaient point à en faire, puisque, finalement, M. Jean s’en remettait à eux pour les conditions.

On était au 30 juin. Le duel fut fixé au lendemain, neuf heures du matin. Il aurait lieu dans un petit bois qui se trouve à gauche en