Page:Verne - Le Docteur Ox.djvu/18

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« En effet, répondit le bourgmestre, qui porta avec une majestueuse lenteur sa main à son front limpide, en effet ; mais ce digne homme est mort avant d’avoir osé prendre une détermination, ni à cet égard, ni à l’égard d’aucune autre mesure administrative. C’était un sage. Pourquoi ne ferais-je pas comme lui ? »

Le conseiller Niklausse eût été incapable d’imaginer une raison qui pût contredire l’opinion du bourgmestre.

« L’homme qui meurt sans s’être jamais décidé à rien pendant sa vie, ajouta gravement van Tricasse, est bien près d’avoir atteint la perfection en ce monde ! »

Cela dit, le bourgmestre pressa du bout du petit doigt un timbre au son voilé, qui fit entendre moins un son qu’un soupir. Presque aussitôt, quelques pas légers glissèrent doucement sur les carreaux du palier. Une souris n’eût pas fait moins de bruit en trottinant sur une épaisse moquette. La porte de la chambre s’ouvrit en tournant sur ses gonds huilés. Une jeune fille blonde, à longues tresses, apparut. C’était Suzel van Tricasse, la fille unique du bourgmestre. Elle remit à son père avec sa pipe bourrée à point un petit brasero de cuivre, ne prononça pas une parole, et disparut aussitôt, sans que sa sortie eût produit plus de bruit que son entrée.

L’honorable bourgmestre alluma l’énorme fourneau de son instrument, et s’effaça bientôt dans un nuage de fumée bleuâtre, laissant le conseiller Niklausse plongé au milieu des plus absorbantes réflexions.

La chambre dans laquelle causaient ainsi ces deux notables personnages, chargés de l’administration de Quiquendone, était un parloir richement orné de sculptures en bois sombre. Une haute cheminée, vaste foyer dans lequel eût pu brûler un chêne ou rôtir un bœuf, occupait tout un panneau du parloir et faisait face à une fenêtre à treillis, dont les vitraux peinturlurés tamisaient doucement les rayons du jour. Dans un cadre antique, au-dessus de la cheminée, apparaissait le portrait d’un bonhomme quelconque, attribué à Hemling, qui devait représenter un ancêtre des van Tricasse, dont la généalogie remonte authentiquement au quatorzième siècle, époque à laquelle les Flamands et Gui de Dampierre eurent à lutter contre l’empereur Rodolphe de Hapsbourg.

Ce parloir faisait partie de la maison du bourgmestre, l’une des plus agréables de Quiquendone. Construite dans le goût flamand et avec tout l’imprévu, le caprice, le pittoresque, le fantaisiste que comporte l’architecture ogivale, on la citait entre les plus curieux monuments de la ville. Un couvent de chartreux ou un établissement de sourds-muets n’eussent pas été plus silencieux que cette habitation. Le bruit n’y existait pas ; on n’y marchait pas, on y