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le pays des fourrures.

l’autre, et, appuyés sur leurs bâtons ferrés, ils franchirent la poterne et s’avancèrent entre les collines et la rive orientale du lagon.

Une vague lueur crépusculaire était répandue sur le territoire. La lune, nouvelle depuis la veille, ne devait pas paraître au-dessus de l’horizon, et laissait à la nuit toute sa sombre horreur, mais l’obscurité n’allait durer que quelques heures au plus. En ce moment même, on y voyait encore suffisamment à se conduire.

Quel vent et quelle pluie ! Le lieutenant Hobson et son compagnon étaient chaussés de bottes imperméables et couverts de capotes cirées, bien serrées à la taille, dont le capuchon leur enveloppait entièrement la tête. Ainsi protégés, ils marchèrent rapidement, car le vent, les prenant de dos, les poussa avec une extrême violence, et, par certains redoublements de la rafale, on peut dire qu’ils allaient plus vite qu’ils ne le voulaient. Quant à se parler, ils n’essayèrent même pas, car, assourdis par les fracas de la tempête, époumonés par l’ouragan, ils n’auraient pu s’entendre.

L’intention de Jasper Hobson n’était point de suivre le littoral, dont les irrégularités eussent inutilement allongé sa route, tout en l’exposant aux coups directs de l’ouragan, qu’aucun obstacle, par conséquent, n’arrêtait à la limite de la mer. Il comptait, autant que possible, couper en ligne droite depuis le cap Bathurst jusqu’au cap Michel, et il s’était, dans cette prévision, muni d’une boussole de poche qui lui permettrait de relever sa direction. De cette façon, il n’aurait pas plus de dix à onze milles à franchir pour atteindre son but, et il pensait arriver au terme de son voyage à peu près à l’heure où le crépuscule s’effacerait pour deux heures à peine, et laisserait à la nuit toute son obscurité.

Jasper Hobson et son sergent, courbés sous l’effort du vent, le dos arrondi, la tête dans les épaules, s’arc-boutant sur leurs bâtons, avançaient donc assez rapidement. Tant qu’ils prolongèrent la rive est du lac, ils ne reçurent point la rafale de plein fouet et n’eurent pas trop à souffrir. Les collines et les arbres dont elles étaient couronnées les garantissaient en partie. Le vent sifflait avec une violence sans égale à travers cette ramure, au risque de déraciner ou de briser quelque tronc mal assuré, mais il se « cassait » en passant. La pluie même n’arrivait que divisée en une impalpable poussière. Aussi, pendant l’espace de quatre milles environ, les deux explorateurs furent-ils moins rudement éprouvés qu’ils ne le craignaient.

Arrivés à l’extrémité méridionale de la futaie, là où venait mourir la base des collines, là où le sol plat, sans une intumescence quelconque, sans un rideau d’arbres, était balayé par le vent de la mer, ils s’arrêtèrent