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un savant dégelé.

Très heureusement sans doute pour Thomas Black, le lieutenant Jasper Hobson eut une autre idée.

« De la neige ! demanda-t-il. Sergent Long, plusieurs poignées de neige ! »

Cette substance ne manquait pas dans la cour du fort. Pendant que le sergent allait chercher la neige demandée, Joliffe déshabilla l’astronome. Le corps du malheureux était couvert de plaques blanchâtres qui indiquaient une violente pénétration du froid dans les chairs. Il y avait urgence extrême à rappeler le sang aux parties attaquées. C’était le résultat que Jasper Hobson espérait obtenir au moyen de vigoureuses frictions de neige. On sait que c’est le remède généralement employé dans les contrées polaires pour rétablir la circulation qu’un froid terrible a arrêtée, comme il arrête le courant des rivières.

Le sergent Long étant revenu, Joliffe et lui frictionnèrent le nouveau venu comme il ne l’avait jamais été probablement. Ce n’était point une linition douce, une fomentation onctueuse, mais un massage vigoureux, pratiqué à bras raccourcis, et qui rappelait plutôt les éraillures de l’étrille que les caresses de la main.

Et pendant cette opération, le loquace caporal interpellait toujours le voyageur, qui ne pouvait l’entendre.

« Allons donc ! monsieur, allons donc ! Quelle idée vous a donc pris de vous laisser refroidir ainsi ? Voyons ! n’y mettez pas tant d’obstination ! »

Il est probable que Thomas Black s’obstinait, car une demi-heure se passa sans qu’il consentît à donner signe de vie. On désespérait même de le ranimer, et les masseurs allaient suspendre leur fatigant exercice, quand le pauvre homme fit entendre quelques soupirs.

« Il vit ! il revient ! » s’écria Jasper Hobson.

Après avoir réchauffé par les frictions l’extérieur du corps, il ne fallait point oublier l’intérieur. Aussi le caporal Joliffe se hâta-t-il d’apporter quelques verres de punch. Le voyageur se sentit véritablement soulagé ; les couleurs revinrent à ses joues, le regard à ses yeux, la parole à ses lèvres, et le capitaine put espérer enfin que Thomas Black allait lui apprendre pourquoi il arrivait en ce lieu et dans un état si déplorable.

Thomas Black, bien enveloppé de couvertures, se souleva à demi, s’appuya sur son coude, et d’une voix encore affaiblie :

« Le fort Reliance ? demanda-t-il.

— C’est ici, répondit le capitaine.

— Le capitaine Craventy ?

— C’est moi, et j’ajouterai, monsieur, soyez le bienvenu. Mais pourrai-je vous demander pourquoi vous venez au fort Reliance ?