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SERGE LADKO.

appointé du Turc oppresseur ; on disait qu’à son métier d’espion il ajoutait, quand l’occasion s’en présentait, celui de contrebandier, et que des marchandises de toute nature passaient souvent grâce à lui de la rive roumaine à la rive bulgare, ou réciproquement, sans payer de droits à la Douane ; on disait même, en hochant la tête, que tout cela était peu de chose, et que Striga tirait le plus clair de ses ressources de rapines vulgaires et de brigandages ; on disait encore… Mais que ne disait-on pas ? La vérité est qu’on ne savait rien de précis des faits et gestes de cet inquiétant personnage, qui, si les suppositions désobligeantes du public répondaient à la réalité, avait eu, en tous cas, la grande habileté de ne jamais se laisser prendre.

Ces suppositions, d’ailleurs, on se bornait à se les confier discrètement. Personne ne se fût risqué à prononcer tout haut une parole contre un homme dont on redoutait le cynisme et la violence. Striga pouvait donc feindre d’ignorer l’opinion que l’on avait de lui, attribuer à l’admiration générale la sympathie que beaucoup lui témoignaient par lâcheté, parcourir la ville en pays conquis et la troubler, en compagnie de ses habitants les plus tarés, du scandale de ses orgies.

Entre un tel individu et Ladko, qui menait une existence si différente, il ne semblait pas que le moindre rapport dût s’établir, et pendant longtemps, en effet, ils ne