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LE PILOTE DU DANUBE.

connurent l’un de l’autre que ce que leur en apprenait la rumeur publique. Logiquement même, il aurait dû en être toujours ainsi. Mais le sort se rit de ce que nous appelons la logique, et il était écrit quelque part que les deux hommes se trouveraient face à face, transformés en irréconciliables adversaires.

Natcha Gregorevitch, célèbre dans toute la ville pour sa beauté, était âgée de vingt ans. Avec sa mère d’abord, seule ensuite, elle demeurait dans le voisinage de Ladko qu’elle avait ainsi connu dès sa première enfance. Depuis longtemps, le secours d’un homme manquait à la maison. Quinze ans avant l’époque où commence ce récit, le père était tombé, en effet, sous les coups des Turcs, et le souvenir de ce meurtre abominable faisait encore frémir d’indignation les patriotes opprimés, mais non asservis. Sa veuve, réduite à ne compter que sur elle-même, s’était mise courageusement au travail. Experte dans l’art de ces dentelles et de ces broderies dont, chez les Slaves, la plus modeste paysanne agrémente volontiers son humble parure, elle avait réussi par ce moyen à assurer sa subsistance et celle de sa fille.

Cependant, c’est aux pauvres surtout que sont funestes les périodes troublées, et plus d’une fois la dentellière aurait eu à souffrir de l’anarchie permanente de la Bulgarie, si Ladko n’était venu discrètement à son secours. Peu à peu, une grande intimité s’était