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le sphinx des glaces

ritait d’attirer l’attention. Lorsqu’il s’accotait contre les montants du guindeau, ou debout à l’arrière sa main posée sur les poignées de la roue du gouvernail, je le dévisageais non sans une réelle curiosité.

D’autre part, il me semblait que ses regards honoraient les miens d’une certaine insistance. Il ne devait pas ignorer ma qualité de passager à bord de la goélette, et dans quelles conditions je m’étais associé aux risques de cette campagne. Quant à penser qu’il voulût atteindre un autre but que nous, au-delà de l’île Tsalal, après que nous aurions sauvé les naufragés de la Jane, cela n’était guère admissible. Le capitaine Len Guy, d’ailleurs, ne cessait de le répéter :

« Notre mission, c’est de sauver nos compatriotes ! L’île Tsalal est le seul point qui nous attire, et puissions-nous ne pas engager notre navire au-delà ! »

Le 10 novembre, vers deux heures de l’après-midi, un cri de la vigie se fit entendre :

« Terre par tribord devant !… »

Une bonne observation avait donné 55° 7′ de latitude et 41° 13′ de longitude ouest.

Cette terre ne pouvait être que l’île Saint-Pierre, — de ses noms britanniques, Géorgie-Australe, Nouvelle-Géorgie, île du Roi-George, — qui, par son gisement, appartient aux régions circumpolaires.

Dès 1675, avant Cook, elle fut découverte par le Français Barbe. Mais, sans tenir compte de ce qu’il n’était plus que le second en date, le célèbre navigateur anglais lui imposa la série des noms qu’elle porte aujourd’hui.

La goélette prit direction sur cette île dont les hauteurs neigeuses, — des masses formidables de roches anciennes, gneiss et schiste argileux, — montent à douze cents toises à travers les brouillards jaunâtres de l’espace.

Le capitaine Len Guy avait l’intention de relâcher vingt-quatre