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le sphinx des glaces

Cependant la surface de la mer commençait à se prendre, et il fallut plusieurs fois rompre des ice-fields afin de se frayer un passage. Le thermomètre n’indiquait plus que quatre degrés (15° 56 C. sous zéro). Nous souffrions beaucoup du froid et des rafales à bord de cette embarcation non pontée, quoique nous fussions pourvus d’épaisses couvertures.

Par bonheur, il y avait en quantité suffisante, et pour quelques semaines, des conserves de viande, trois sacs de biscuits et deux fûts de gin intacts. Quant à l’eau douce, on s’en procurait avec de la glace fondue.

Bref, pendant six jours, jusqu’au 2 avril, le Paracuta dut s’engager entre les hauteurs de la banquise, dont la crête se profilait à une altitude comprise entre sept et huit cents pieds au-dessus du niveau de la mer. On n’en pouvait voir les extrémités ni au couchant ni au levant, et si notre canot ne rencontrait pas une passe libre, nous ne parviendrions pas à la franchir.

Grâce à la plus heureuse des chances, il la trouva à cette date, il la suivit, au milieu de mille dangers. Oui ! on eut besoin de tout le zèle, de tout le courage, de toute l’habileté de nos hommes et de leurs chefs pour se tirer d’affaire. Aux deux capitaines Len et William Guy, au lieutenant Jem West, au bosseman, nous devons une éternelle reconnaissance.

Nous étions enfin sur les eaux du Sud-Pacifique. Mais, pendant cette longue et pénible traversée, notre embarcation avait gravement souffert. Son calfatage usé, ses bordages menaçant de se disjoindre, elle faisait eau par plus d’une couture. On s’occupait sans cesse à la vider, et c’était assez, c’était déjà trop de la houle qui embarquait par-dessus le plat-bord.

Il est vrai, la brise était molle, la mer plus calme qu’on eût pu l’espérer, et le véritable danger ne tenait pas aux risques de la navigation.

Non ! il venait de ce qu’il n’y avait aucun navire en vue sur ces parages, aucun baleinier parcourant les lieux de pêche. Aux premiers