Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/178

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— Deux ! dit Glenarvan très-surpris. Deux Anglais ?

— Non pas, répondit le sergent. Qui parle d’Anglais ? Non… un Français et un Italien.

— Un Italien qui fut massacré par les Poyuches ? s’écria Paganel.

— Oui ! et j’ai appris depuis… Français sauvé.

— Sauvé ! s’écria le jeune Robert, dont la vie était suspendue aux lèvres du sergent.

— Oui, sauvé des mains des Indiens, » répondit Manuel.

Chacun regardait le savant, qui se frappait le front d’un air désespéré.

« Ah ! je comprends, dit-il enfin, tout est clair, tout s’explique !

— Mais de quoi s’agit-il ? demanda Glenarvan, aussi inquiet qu’impatienté.

— Mes amis, répondit Paganel, en prenant les mains de Robert, il faut nous résigner à une grave déconvenue ! Nous avons suivi une fausse piste ! Il ne s’agit point ici du capitaine, mais d’un de mes compatriotes, dont le compagnon, Marco Vazello, fut effectivement assassiné par les Poyuches, d’un Français qui plusieurs fois accompagna ces cruels Indiens jusqu’aux rives du Colorado, et qui, après s’être heureusement échappé de leurs mains, a revu la France. En croyant suivre les traces d’Harry Grant, nous sommes tombés sur celles du jeune Guinnard[1]. »

Un profond silence accueillit cette déclaration. L’erreur était palpable. Les détails donnés par le sergent, la nationalité du prisonnier, le meurtre de son compagnon, son évasion des mains des Indiens, tout s’accordait pour la rendre évidente. Glenarvan regardait Thalcave d’un air décontenancé. L’Indien prit alors la parole :

« N’avez-vous jamais entendu parler de trois Anglais captifs ? demanda-t-il au sergent français.

— Jamais, répondit Manuel,… on l’aurait appris à Tandil,… je le saurais… Non, cela n’est pas… »

Glenarvan, après cette réponse formelle, n’avait rien à faire au fort Indépendance. Ses amis et lui se retirèrent donc, non sans avoir remercié le sergent et échangé quelques poignées de main avec lui.

Glenarvan était désespéré de ce renversement complet de ses espérances. Robert marchait près de lui sans rien dire, les yeux humides de larmes. Glenarvan ne trouvait pas une seule parole pour le consoler. Paganel gesticulait en se parlant à lui-même. Le major ne desserrait pas les

  1. M. A. Guinnard fut, en effet, prisonnier des Indiens-Poyuches pendant trois années, de 1856 à 1859. Il supporta avec un courage extrême les terribles épreuves auxquelles il fut soumis, et parvint enfin à s’échapper en traversant les Andes au défilé d’Upsallata. Il revit la France en 1861, et est maintenant l’un des collègues de l’honorable Paganel à la Société de Géographie.