Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/218

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— Nous le verrons demain, » répondit Mac Nabbs.

Tom Austin héla au juger le yacht invisible, mais sans obtenir de réponse. Le vent était d’ailleurs très-fort, et la mer assez mauvaise. Les nuages chassaient de l’ouest, et la crête écumante des vagues s’envolait en fine poussière jusqu’au-dessus des dunes. Si donc le Duncan était au rendez-vous assigné, l’homme du bossoir ne pouvait ni être entendu ni entendre. La côte n’offrait aucun abri. Nulle baie, nulle anse, nul port. Pas même une crique. Elle se composait de longs bancs de sable qui allaient se perdre en mer, et dont l’approche est plus dangereuse que celle des rochers à fleur d’eau. Les bancs, en effet, irritent la lame ; la mer y est particulièrement mauvaise, et les navires sont à coup sûr perdus, qui par les gros temps viennent s’échouer sur ces tapis de sable.

Il était donc fort naturel que le Duncan, jugeant cette côte détestable et sans port de refuge, se tînt éloigné. John Mangles, avec sa prudence habituelle, devait s’en élever le plus possible. Ce fut l’opinion de Tom Austin, et il affirma que le Duncan ne pouvait tenir la mer à moins de cinq bons milles.

Le major engagea donc son impatient ami à se résigner. Il n’existait aucun moyen de dissiper ces épaisses ténèbres. À quoi bon, dès lors, fatiguer ses regards à les promener sur le sombre horizon ?

Ceci dit, il organisa une sorte de campement à l’abri des dunes ; les dernières provisions servirent au dernier repas du voyage ; puis chacun, suivant l’exemple du major, se creusa un lit improvisé dans un trou assez confortable, et, ramenant jusqu’à son menton l’immense couverture de sable, s’endormit d’un lourd sommeil.

Seul Glenarvan veilla. Le vent se maintenait en grande brise, et l’Océan se ressentait encore de l’orage passé. Ses vagues, toujours tumultueuses, se brisaient au pied des bancs avec un bruit de tonnerre. Glenarvan ne pouvait se faire à l’idée de savoir le Duncan si près de lui. Quant à supposer qu’il ne fût pas arrivé au rendez-vous convenu, c’était inadmissible. Glenarvan avait quitté la baie de Talcahuano le 14 octobre, et il arrivait le 12 novembre aux rivages de l’Atlantique. Or, pendant cet espace de trente jours employés à traverser le Chili, la Cordillère, les Pampas, la plaine argentine, le Duncan avait eu le temps de doubler le cap Horn et d’arriver à la côte opposée. Pour un tel marcheur, les retards n’existaient pas ; la tempête avait été certainement violente et ses fureurs terribles sur le vaste champ de l’Atlantique, mais le yacht était un bon navire et son capitaine un bon marin. Donc, puisqu’il devait être là, il y était.

Ces réflexions, quoi qu’il en soit, ne parvinrent pas à calmer Glenarvan.