Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/247

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— Merci, répondit le major, je n’ai aucun goût pour les rôles de Robinson, et je les jouerais fort mal.

— Cher monsieur Paganel, répondit lady Helena, voilà encore votre imagination qui vous emporte dans les champs de la fantaisie. Mais je crois que la réalité est bien différente du rêve. Vous ne songez qu’à ces Robinsons imaginaires, soigneusement jetés dans une île bien choisie, et que la nature traite en enfants gâtés ! Vous ne voyez que le beau côté des choses !

— Quoi ! Madame, vous ne pensez pas qu’on puisse être heureux dans une île déserte ?

— Je ne le crois pas. L’homme est fait pour la société, non pour l’isolement. La solitude ne peut engendrer que le désespoir. C’est une question de temps. Que d’abord les soucis de la vie matérielle, les besoins de l’existence, distraient le malheureux à peine sauvé des flots, que les nécessités du présent lui dérobent les menaces de l’avenir, c’est possible. Mais ensuite, quand il se sent seul, loin de ses semblables, sans espérance de revoir son pays et ceux qu’il aime, que doit-il penser, que doit-il souffrir ? Son îlot, c’est le monde entier. Toute l’humanité se renferme en lui, et, lorsque la mort arrive, mort effrayante dans cet abandon, il est là comme le dernier homme au dernier jour du monde. Croyez-moi, monsieur Paganel, il vaut mieux ne pas être cet homme-là ! »

Paganel se rendit, non sans regrets, aux arguments de lady Helena, et la conversation se prolongea ainsi sur les avantages et les désagréments de l’isolement, jusqu’au moment où le Duncan mouilla à un mille du rivage de l’île Amsterdam.

Ce groupe isolé dans l’océan Indien est formé de deux îles distinctes situées à trente-trois milles environ l’une de l’autre, et précisément sur le méridien de la péninsule indienne ; au nord, est l’île Amsterdam ou Saint-Pierre, au sud, l’île Saint-Paul ; mais il est bon de dire qu’elles ont été souvent confondues par les géographes et les navigateurs.

Ces îles furent découvertes en décembre 1796 par le Hollandais Vlaming, puis reconnues par d’Entrecasteaux, qui menait alors l’Espérance et la Recherche à la découverte de la Pérouse. C’est de ce voyage que date la confusion des deux îles. Le marin Barrow, Beautemps-Beaupré dans l’atlas de d’Entrecasteaux, puis Horsburg, Pinkerton, et d’autres géographes, ont constamment décrit l’île Saint-Pierre pour l’île Saint-Paul, et réciproquement. En 1859, les officiers de la frégate autrichienne la Novara, dans son voyage de circumnavigation, évitèrent de commettre cette erreur, que Paganel tenait particulièrement à rectifier.

L’île Saint-Paul, située au sud de l’île Amsterdam, n’est qu’un îlot inhabité, formé d’une montagne conique qui doit être un ancien volcan.