Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/370

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

arbre droit et glissant qu’il ne pouvait embrasser. Mais le singe, frappant alternativement le tronc d’une sorte de hache, creusa de petites entailles, et par ces points d’appui régulièrement espacés, il atteignit la fourche du gommier. En quelques secondes, il disparut dans l’épaisseur du feuillage.

« Ah çà, qu’est-ce que c’est que ce singe-là ? Demanda le major.

— Ce singe-là, répondit Paganel, c’est un Australien pur sang ! »

Les compagnons du géographe n’avaient pas encore eu le temps de hausser les épaules, que des cris qu’on pourrait orthographier ainsi : « coo-eeh ! coo-eeh ! » retentirent à peu de distance. Ayrton piqua ses bœufs, et, cent pas plus loin, les voyageurs arrivaient inopinément à un campement d’indigènes.

Quel triste spectacle ! Une dizaine de tentes se dressaient sur le sol nu. Ces « gunyos », faits avec des bandes d’écorce étagées comme des tuiles, ne protégeaient que d’un côté leurs misérables habitants. Ces êtres, dégradés par la misère, étaient repoussants. Il y en avait là une trentaine, hommes, femmes et enfants, vêtus de peaux de kanguroos déchiquetées comme des haillons. Leur premier mouvement, à l’approche du chariot, fut de s’enfuir. Mais quelques mots d’Ayrton prononcés dans un inintelligible patois parurent les rassurer. Ils revinrent alors, moitié confiants, moitié craintifs, comme des animaux auxquels on tend quelque morceau friand.

Ces indigènes, hauts de cinq pieds quatre pouces à cinq pieds sept pouces, avaient un teint fuligineux, non pas noir, mais couleur de vieille suie, les cheveux floconneux, les bras longs, l’abdomen proéminent, le corps velu et couturé par les cicatrices du tatouage ou par les incisions pratiquées dans les cérémonies funèbres. Rien d’horrible comme leur figure monstrueuse, leur bouche énorme, leur nez épaté et écrasé sur les joues, leur mâchoire inférieure proéminente, armée de dents blanches, mais proclives. Jamais créatures humaines n’avaient présenté à ce point le type d’animalité.

« Robert ne se trompait pas, dit le major, ce sont des singes, — pur sang, si l’on veut, — mais ce sont des singes !

— Mac Nabbs, répondit lady Helena, donneriez-vous donc raison à ceux qui les chassent comme des bêtes sauvages ? Ces pauvres êtres sont des hommes.

— Des hommes ! s’écria Mac Nabbs ! Tout au plus des êtres intermédiaires entre l’homme et l’orang-outang ! Et encore, si je mesurais leur angle facial, je le trouverais aussi fermé que celui du singe ! »

Mac Nabbs avait raison sous ce rapport ; l’angle facial de l’indigène australien est très aigu et sensiblement égal à celui de l’orang-outang, soit soixante à soixante-deux degrés. Aussi n’est-ce pas sans raison que