Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/382

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Aux groupes charmants de ces arbres indigènes se mariaient les productions transplantées des climats européens. Le pêcher, le poirier, le pommier, le figuier, l’oranger, le chêne lui-même, furent salués par les hurrahs des voyageurs, et ceux-ci, s’ils ne s’étonnèrent pas trop de marcher à l’ombre des arbres de leur pays, s’émerveillèrent, du moins, à la vue des oiseaux qui voltigeaient entre les branches, les « satin-birds » au plumage soyeux, et les séricules, vêtus mi-partie d’or et de velours noir.

Entre autres, et pour la première fois, il leur fut donné d’admirer le « menure. » C’est l’oiseau-lyre, dont l’appendice caudal figure le gracieux instrument d’Orphée. Il fuyait entre les fougères arborescentes, et lorsque sa queue frappait les branches, on s’étonnait presque de ne pas entendre ces harmonieux accords dont s’inspirait Amphion pour rebâtir les murs de Thèbes. Paganel avait envie d’en jouer.

Cependant, lord Glenarvan ne se contentait pas d’admirer les féeriques merveilles de cette oasis improvisée dans le désert australien. Il écoutait le récit des jeunes gentlemen. En Angleterre, au milieu de ses campagnes civilisées, le nouvel arrivant eût tout d’abord appris à son hôte d’où il venait, où il allait. Mais ici, et par une nuance de délicatesse finement observée, Michel et Sandy Patterson crurent devoir se faire connaître des voyageurs auxquels ils offraient l’hospitalité. Ils racontèrent donc leur histoire.

C’était celle de tous ces jeunes Anglais, intelligents et industrieux, qui ne croient pas que la richesse dispense du travail. Michel et Sandy Patterson étaient fils d’un banquier de Londres. À vingt ans, le chef de leur famille avait dit : « Voici des millions, jeunes gens. Allez dans quelque colonie lointaine ; fondez-y un établissement utile ; puisez dans le travail la connaissance de la vie. Si vous réussissez, tant mieux. Si vous échouez, peu importe. Nous ne regretterons pas les millions qui vous auront servi à devenir des hommes. » Les deux jeunes gens obéirent. Ils choisirent en Australie la colonie de Victoria pour y semer les banknotes paternelles, et ils n’eurent pas lieu de s’en repentir. Au bout de trois ans, l’établissement prospérait.

On compte dans les provinces de Victoria, de la Nouvelle-Galles du Sud et de l’Australie méridionale plus de trois mille stations, les unes dirigées par les squatters qui élèvent le bétail, les autres par les settlers, dont la principale industrie est la culture du sol. Jusqu’à l’arrivée des deux jeunes Anglais, l’établissement le plus considérable de ce genre était celui de M. Jamieson, qui couvrait cent kilomètres de superficie, avec une bordure de vingt-cinq kilomètres sur le Paroo, l’un des affluents du Darling.