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les enfants

— Pour être sûr de ne pas être dévoré vivant !

— Bon ! major, reprit Paganel, mais si c’est pour être cuit vivant !

— Le fait est, répondit le major, que je n’en donnerais pas le choix pour une demi-couronne.

— Quoi qu’il en soit, Mac Nabbs, et si cela peut vous être agréable, répliqua Paganel, apprenez que les Néo-Zélandais ne mangent la chair que cuite ou fumée. Ce sont des gens bien appris et qui se connaissent en cuisine. Mais, pour mon compte, l’idée d’être mangé m’est particulièrement désagréable ! Terminer son existence dans l’estomac d’un sauvage, pouah !

— Enfin, de tout ceci, dit John Mangles, il résulte qu’il ne faut pas tomber entre leurs mains. Espérons aussi qu’un jour le christianisme aura aboli ces monstrueuses coutumes.

— Oui, nous devons l’espérer, répondit Paganel ; mais, croyez-moi, un sauvage qui a goûté de la chair humaine y renoncera difficilement. Jugez-en par les deux faits que voici.

— Voyons les faits, Paganel, dit Glenarvan.

— Le premier est rapporté dans les Chroniques de la Société des jésuites au Brésil. Un missionnaire portugais rencontra un jour une vieille Brésilienne très-malade. Elle n’avait plus que quelques jours à vivre. Le jésuite l’instruisit des vérités du christianisme, que la moribonde admit sans discuter. Puis, après la nourriture de l’âme, il songea à la nourriture du corps, et il offrit à sa pénitente quelques friandises européennes. « Hélas ! répondit la vieille, mon estomac ne peut supporter aucune espèce d’aliments. Il n’y a qu’une seule chose dont je voudrais goûter ; mais, par malheur, personne ici ne pourrait me la procurer. — Qu’est-ce donc ? demanda le jésuite. — Ah ! mon fils ! C’est la main d’un petit garçon ! Il me semble que j’en grignoterais les petits os avec plaisir ! »

— Ah çà ! mais c’est donc bon ? demanda Robert.

— Ma seconde histoire va te répondre, mon garçon, reprit Paganel. Un jour, un missionnaire reprochait à un cannibale cette coutume horrible et contraire aux lois divines de manger de la chair humaine. « Et puis ce doit être mauvais ! ajouta-t-il. — Ah ! mon père ! répondit le sauvage en jetant un regard de convoitise sur le missionnaire, dites que Dieu le défend ! Mais ne dites pas que c’est mauvais ! Si seulement vous en aviez mangé !… »