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du capitaine grant.

— En route, Wilson, reprit le jeune capitaine, et droit sur la côte. »

Le flot devait encore monter pendant une heure environ. On put franchir une distance de deux milles. Mais alors la brise tomba presque entièrement, et parut avoir une certaine tendance à se lever de terre. Le radeau resta immobile. Bientôt même, il commença à dériver vers la pleine mer sous la poussée du jusant.

John ne pouvait hésiter une seconde.

« Mouille, » cria-t-il.

Mulrady, préparé à l’exécution de cet ordre, laissa tomber l’ancre par cinq brasses de fond. Le radeau recula de deux toises sur le grelin fortement tendu. La voile de fortune carguée, les dispositions furent prises pour une assez longue station.

En effet, la mer ne devait pas renverser avant neuf heures du soir, et puisque John Mangles ne se souciait pas de naviguer pendant la nuit, il était mouillé là jusqu’à cinq heures du matin. La terre était en vue à moins de trois milles.

Une assez forte houle soulevait les flots, et semblait par un mouvement continu porter à la côte. Aussi, Glenarvan, quand il apprit que la nuit entière se passerait à bord, demanda à John pourquoi il ne profitait pas des ondulations de cette houle pour se rapprocher de la côte.

« Votre Honneur, répondit le jeune capitaine, est trompé par une illusion d’optique. Bien qu’elle semble marcher, la houle ne marche pas. C’est un balancement des molécules liquides, rien de plus. Jetez un morceau de bois au milieu de ces vagues, et vous verrez qu’il demeurera stationnaire, tant que le jusant ne se fera pas sentir. Il ne nous reste donc qu’à prendre patience.

— Et à dîner, » ajouta le major.

Olbinett tira d’une caisse de vivres quelques morceaux de viande sèche, et une douzaine de biscuits. Le stewart rougissait d’offrir à ses maîtres un si maigre menu. Mais il fut accepté de bonne grâce, même par les voyageuses, que les brusques mouvements de la mer, cependant, ne mettaient guère en appétit.

En effet, ces chocs du radeau, qui faisait tête à la houle en secouant son câble, étaient d’une fatigante brutalité. L’appareil, incessamment ballotté sur des lames courtes et capricieuses, ne se fût pas heurté plus violemment aux arrêtes vives d’une roche sous-marine. C’était parfois à croire qu’il touchait. Le grelin travaillait fortement, et de demi-heure en demi-heure John en faisait filer une brasse pour le rafraîchir. Sans cette précaution, il eût inévitablement cassé, et le radeau, abandonné à lui-même, aurait été se perdre au large.