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les enfants

Cependant, si Glenarvan ne se dissimulait pas que toute idée d’échange avait dû abandonner Kai-Koumou, le major conservait sur ce point une lueur d’espérance.

« Qui sait, disait-il en rappelant à Glenarvan l’effet produit sur le chef par la mort de Kara-Tété, qui sait si Kai-Koumou, au fond, ne se sent pas votre obligé ? »

Mais, malgré les observations de Mac Nabbs, Glenarvan ne voulait plus espérer. Le lendemain s’écoula encore sans que les apprêts du supplice fussent faits. Voici quelle était la raison de ce retard.

Les Maoris croient que l’âme, pendant les trois jours qui suivent la mort, habite le corps du défunt, et, pendant trois fois vingt-quatre heures, le cadavre reste sans sépulture. Cette coutume suspensive de la mort fut observée dans toute sa rigueur. Jusqu’au 15 février, le pah demeura désert. John Mangles, hissé sur les épaules de Wilson, observa souvent les retranchements extérieurs. Aucun indigène ne s’y montra. Seules, les sentinelles, faisant bonne garde, se relayaient à la porte du Waré-Atoua.

Mais, le troisième jour, les huttes s’ouvrirent ; les sauvages, hommes, femmes, enfants, c’est-à-dire plusieurs centaines de Maoris, se rassemblèrent dans le pah, muets et calmes.

Kai-Koumou sortit de sa case, et, entouré des principaux chefs de sa tribu, il prit place sur un tertre élevé de quelques pieds, au centre du retranchement. La masse des indigènes formait un demi-cercle à quelques toises en arrière. Toute l’assemblée gardait un absolu silence.

Sur un signe de Kai-Koumou, un guerrier se dirigea vers le Waré-Atoua.

« Souviens-toi, » dit lady Helena à son mari.

Glenarvan serra sa femme contre son cœur. En ce moment, Mary Grant s’approcha de John Mangles :

« Lord et lady Glenarvan, dit-elle, penseront que si une femme peut mourir de la main de son mari pour fuir une honteuse existence, une fiancée peut mourir aussi de la main de son fiancé pour y échapper à son tour. John, je puis vous le dire, dans cet instant suprême, ne suis-je pas depuis longtemps votre fiancée dans le secret de votre cœur ? Puis-je compter sur vous, cher John, comme lady Helena sur lord Glenarvan ?

— Mary ! s’écria le jeune capitaine éperdu. Ah ! chère Mary !… »

Il ne put achever ; la natte se souleva, et les captifs furent entraînés vers Kai-Koumou ; les deux femmes étaient résignées à leur sort ; les hommes dissimulaient leurs angoisses sous un calme qui témoignait d’une énergie surhumaine.