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du capitaine grant.

Le repas achevé, lady Helena récita la prière du soir à haute voix. Tous ses compagnons, la tête nue, s’y associèrent.

Où est l’homme qui ne pense pas à Dieu devant la mort ?

Ce devoir accompli, les prisonniers s’embrassèrent.

Mary Grant et Helena, retirées dans un coin de la hutte, s’étendirent sur une natte. Le sommeil, qui suspend tous les maux, s’appesantit bientôt sur leurs paupières : elles s’endormirent dans les bras l’une de l’autre, vaincues par la fatigue et les longues insomnies.

Glenarvan, prenant alors ses amis à part, leur dit :

« Mes chers compagnons, notre vie et celle de ces pauvres femmes est à Dieu. S’il est dans les décrets du ciel que nous mourions demain, nous saurons, j’en suis sûr, mourir en gens de cœur, en chrétiens, prêts à paraître sans crainte devant le juge suprême. Dieu, qui voit le fond des âmes, sait que nous poursuivions un noble but. Si la mort nous attend au lieu du succès, c’est qu’il le veut. Si dur que soit son arrêt, je ne murmurerai pas contre lui. Mais la mort ici, ce n’est pas la mort seulement, c’est le supplice, c’est l’infamie, peut-être, et voici deux femmes… »

Ici, la voix de Glenarvan, ferme jusqu’alors, s’altéra. Il se tut pour dominer son émotion. Puis, après un moment de silence :

« John, dit-il au jeune capitaine, tu as promis à Mary ce que j’ai promis à lady Helena. Qu’as-tu résolu ?

— Cette promesse, répondit John Mangles, je crois avoir, devant Dieu, le droit de la remplir.

— Oui, John ! mais nous sommes sans armes ?

— En voici une, répondit John, montrant un poignard. Je l’ai arraché des mains de Kara-Tété, quand ce sauvage est tombé à vos pieds. Mylord, celui de nous qui survivra à l’autre accomplira le vœu de lady Helena et de Mary Grant. »

Après ces paroles, un profond silence régna dans la hutte. Enfin, le major l’interrompit en disant :

« Mes amis, gardez pour les dernières minutes ce moyen extrême. Je suis peu partisan de ce qui est irrémédiable.

— Je n’ai pas parlé pour nous, répondit Glenarvan. Quelle qu’elle soit, nous saurons braver la mort ! Ah ! si nous étions seuls, vingt fois déjà je vous aurais crié : Mes amis, tentons une sortie ! Attaquons ces misérables ! Mais elles ! elles !… »

John, en ce moment, souleva la natte, et compta vingt-cinq indigènes qui veillaient à la porte du Waré-Atoua. Un grand feu avait été allumé et jetait de sinistres lueurs sur le relief accidenté du pah. De ces sauvages, les uns étaient étendus autour du brasier ; les autres, debout, immobiles,