Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/43

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réduite pour lui à ces quelques tribus fuégiennes, auxquelles il consacrait toute son existence et tout son dévouement ?

Les événements, dont la réalisation était prochaine et qui vont faire le sujet de ce récit, devaient se charger de renseigner sur le premier point. Quant aux deux autres questions, la vie antérieure du Kaw-djer permet d’y répondre succinctement.

De grande valeur, ayant aussi profondément creusé les sciences politiques que les sciences naturelles, homme de courage et d’action, le Kaw-djer n’était pas le premier savant qui eût commis la double faute de considérer comme certains des principes qui ne sont après tout que des hypothèses, et de pousser ces principes jusqu’à leurs extrêmes conséquences. Le nom de quelques-uns de ces réformateurs redoutables est dans toutes les mémoires.

Le socialisme, cette doctrine dont la prétention ne va à rien moins qu’à refaire la société de la base au faîte, n’a pas le mérite de la nouveauté. Après beaucoup d’autres qui se perdent dans la nuit des temps, Saint-Simon, Fourrier, Proudhon et tutti quanti sont les précurseurs du collectivisme. Des idéologues plus modernes, tels que les Lassalle, les Karl Marx, les Guesde, n’ont fait que reprendre leurs idées, en les modifiant plus ou moins, et en les appuyant sur la socialisation des moyens de production, l’anéantissement du capital, l’abolition de la concurrence, la substitution de la propriété sociale à la propriété individuelle. Aucun d’eux ne veut tenir compte des contingences de la vie. Leur doctrine réclame une application immédiate et totale. Ils exigent l’expropriation en masse, imposent le communisme universel.

Qu’on approuve ou qu’on blâme une telle théorie, le moins qu’on en puisse dire, c’est qu’elle est audacieuse. Il en est pourtant une qui l’est plus encore : la théorie anarchiste.

La réglementation tyrannique que nécessiterait le fonctionnement de la société collectiviste, les anarchistes la repoussent. Ce qu’ils préconisent, c’est l’individualisme absolu, intégral. Ce qu’ils veulent, c’est la suppression de toute autorité, la destruction de tout lien social.

C’est parmi ces derniers qu’il fallait ranger le Kaw-djer, âme farouche, indomptable, intransigeante, incapable d’obéissance, réfractaire à toutes les lois, imparfaites sans doute, par les-