Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/54

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Enfin, non sans d’effrayantes embardées qui exposaient tour à tour ses flancs aux assauts des lames, le bâtiment doubla le cap, frôla les récifs qui le hérissaient à l’Ouest et, sous l’impulsion d’un morceau de toile hissé à l’avant en guise de foc, passa sous le vent de l’île Horn, dont les hauteurs le couvrirent en partie contre les violences de la bourrasque.

Pendant cette accalmie relative, un homme monta sur la dunette et s’approcha de la barre que manœuvraient le Kaw-djer et Karroly.

« Qui êtes-vous ? demanda-t-il.

— Pilote, répondit le Kaw-djer. Et vous ?

— Maître d’équipage.

— Vos officiers ?

— Morts.

— Tous ?

— Tous.

— Pourquoi n’étiez-vous pas à votre poste ?

— J’ai été assommé par la chute des mâts. Je viens à peine de reprendre connaissance.

— C’est bon. Reposez-vous. Mon compagnon et moi nous suffirons à la tâche. Mais, quand vous le pourrez, réunissez vos hommes. Il faut mettre de l’ordre ici. »

Tout danger n’avait pas disparu, loin de là. Lorsque le navire arriverait à la pointe septentrionale de l’île, il serait pris par le travers et de nouveau exposé à toutes les brutalités des lames et du vent, qui enfilaient le bras de mer entre l’île Horn et l’île Herschell. Aucun moyen, d’ailleurs, d’éviter ce passage. Outre que la côte du cap n’offre aucun abri où le Jonathan pût mouiller, le vent, qui hâlait de plus en plus le Sud, ne tarderait pas à rendre intenable cette partie de l’archipel.

Le Kaw-djer n’avait plus qu’un espoir, gagner vers l’Ouest et atteindre la côte méridionale de l’île Hermitte. Cette côte, assez franche, longue d’une douzaine de milles, n’est pas dépourvue de refuges. Au revers de l’une des pointes, il n’était pas impossible que le Jonathan trouvât un abri. La mer redevenue calme, Karroly essaierait, en choisissant un vent favorable, de gagner le canal du Beagle, et de conduire le navire, bien qu’il fût à peu près désemparé, à Punta-Arenas par le détroit de Magellan.

Mais, que de périls présentait la navigation jusqu’à l’île Her-